Gentrification ne rime pas avec socialisation

Moment historique : à Berlin, un référendum anti-spéculation immobilière prévoyant l’expropriation d’un grand nombre de logements a été accepté. En Irlande, la lutte pour une gestion plus collective de la ville est aussi d’actualité.

Des manifestantes pour l'expropriation des gros propriétaires à Berlin
Manifestation en faveur du référendum d’expropriation, Berlin, 11 septembre 2021

À la suite des mobilisations de 2019 (voir solidaritéS nº 348) la question du logement est devenue centrale en Allemagne. Le 26 septembre dernier les Berlinois·e·s votaient en faveur de la mise sous contrôle public de 240 000 appartements détenus par de grands groupes immobiliers. Toute entreprise propriétaire de plus de 3000 biens immobiliers est visée par la socialisation.

L’association à l’origine de ce référendum consultatif s’en est saisi pour tenter de freiner l’inflation, qui rend de plus en plus difficile la quête de logement dans la capitale : durant la dernière décennie, les loyers y ont presque doublé. La forte gentrification rend chaque mois plus difficile pour la majorité de la population d’habiter proche du centre. Au printemps 2021, la Cour de Karlsruhe – la plus haute instance de justice allemande – avait interdit au gouvernement du Land de Berlin de plafonner les loyers. Une loi adoptée afin de lutter contre la spéculation immobilière avait en effet été jugée inconstitutionnelle, donnant raison aux promoteurs. Le sentiment provoqué par ce verdict a sans doute influencé l’issue du vote de septembre.

Un bémol de taille

Annoncé perdant dans les sondages, le référendum a obtenu 56,4 % de voix. Un bémol de taille cependant : le résultat n’est pas juridiquement contraignant et impliquerait le payement de dizaines de milliards d’euros de compensation. Le texte voté appelle la nouvelle municipalité à rédiger une loi et à « prendre toutes les mesures » nécessaires pour répondre au but du référendum, soit le transfert des biens immobiliers à une institution de droit public.

Si le parti Die Linke soutient la proposition, il est le seul à adopter une position claire. Le SPD (parti social-démocrate), majoritaire au gouvernement de la ville depuis des années, oscille lui entre prudence et désapprobation. La nouvelle maire SPD, Franziska Giffey, a déclaré que le résultat du référendum devrait être respecté. Elle s’oppose cependant au principe d’expropriation et vise plutôt l’accélération de la construction de logements. Celui-ci sera en tous les cas complexe à traduire juridiquement, les opposant·e·s dénonçant ses dimensions « anticonstitutionnelles ».

Le succès populaire d’une proposition visant à remettre en commun la gestion du logement reste réjouissant, en s’opposant à la tendance générale de privatisation et de hausse des loyers observée à travers l’Europe.

Pendant ce temps, à Dublin

À Dublin, une manifestation le 9 octobre semble faire écho à ces événements. Accompagnée de pétitions signées par presque 100 000 personnes, elle s’opposait à la construction d’hôtels sur des sites historiques. L’un d’eux, le pub The Cobblestone, est un des lieux les plus importants pour la musique traditionnelle dans la capitale. Les manifestant·e·s ont souligné sa fonction cruciale, notamment pour la transmission de la langue gaélique, mais c’est plus généralement la menace d’un désert culturel qui était dénoncé. En effet, la liste des sites culturels ayant récemment fermé au bénéfice de projets commerciaux est longue.

Ces projets hôteliers et les mobilisations qu’ils suscitent sont exemplaires de la situation hors de contrôle de l’immobilier dans la ville. L’intense politique irlandaise pour renforcer l’attractivité économique passe notamment par une fiscalité extraordinairement basse. Celle-ci a permis d’attirer à Dublin les sièges européens d’une série de multinationales, principalement étasuniennes : Apple, Google, Microsoft, Facebook ou encore Airbnb. Le pays se dispute d’ailleurs le haut des classements des paradis fiscaux, avec, entre autres, la Suisse.

Mais à quel prix ? Celui des logements a augmenté de 85 % en dix ans à Dublin et en acheter un en Irlande coûtait 77 % de plus que la moyenne européenne en 2019. Dans ce contexte, la pandémie a encore augmenté de façon dramatique le nombre de personnes sans-abri et en septembre 2021, la liste des étudiant·e·s en attente de logement n’avait jamais été aussi longue.

En Suisse également, les loyers ne cessent d’augmenter, bien plus rapidement que les salaires. Une initiative dans le sens de celle entreprise à Berlin pourrait être une voie intéressante à suivre pour mettre au centre du débat une proposition d’expropriation de biens immobiliers.

Face à l’homogénéisation et la privatisation toujours croissante des villes, la résistance s’organise et offre une perspective d’espoir. Pour reprendre un slogan des mobilisations dublinoises : « We need homes, not hotels, and we need culture, not vultures ! » (Nous avons besoin de logements, pas d’hôtels et nous avons besoin de culture, pas de vautours).

Marie Jolliet