La nasse du tout électrique se referme

Une compostion géométrique d'un pilône électrique

Voir nos autorités évoquer de prochaines pénuries d’électricité, elles qui peignaient le diable du rationnement sur toute revendication visant à produire bien moins, mais beaucoup mieux et surtout autrement, est comique.

Là où l’on rigole moins, c’est lorsque l’on jette un œil sur les préconisations de nos divers·es responsables. Du côté d’EMS Chemie et des Blocher, on a sorti l’artillerie lourde et demandé la construction d’une nouvelle centrale nucléaire. Le drame, c’est que Magdalena Martullo-­Blocher, conseillère nationale UDC, est soutenue sur ce point par une partie du patronat et pas seulement par les industriels de l’atome. Pourtant, une centrale de ce genre ne verrait le jour, au mieux, qu’après 2040. Soit une bonne quinzaine d’années après les premières pénuries prévues. Inutile, donc, sans même parler des déchets et des risques.

Pour les entreprises promouvant la technologie du couplage chaleur-force (appelée aussi cogénération), regroupées dans l’association Powerloop, la solution consiste dans l’utilisation des gazoducs existants pour produire de l’électricité à partir de centrales à gaz. Du gaz naturel dont la combustion dégage donc du CO₂ et dont l’extraction engendre des fuites de méthane, autre gaz à effet de serre (GES). Le moindre mal consiste ici à produire davantage de GES…

Cette situation ubuesque est due à trois facteurs. Le premier, c’est d’avoir confié au marché le bon soin d’assurer la « transition écologique », en l’accompagnant d’incitations financières et fiscales. Résultat : la ressource solaire est totalement sous-­exploitée en Suisse et seul 1 % des bâtiments ont une isolation digne de ce nom. Sans parler des 300 000 salarié·e·s qualifié·e·s qui manquent pour assurer l’efficience énergétique et que le marché est bien incapable de fournir.
Le deuxième facteur, c’est la valse-hésitation des autorités : un coup on continue comme si de rien n’était, un coup on favorise les entreprises qui se ruent sur le capitalisme vert.

Le troisième motif réside dans la conception même de cette pseudo-transition écologique ; dans son message accompagnant la révision de la Loi sur l’approvisionnement en électricité, le Conseil fédéral explique clairement : « Pour atteindre l’objectif climatique fixé par le Conseil fédéral pour 2050, une électrification rapide du secteur des transports et du chauffage s’avère nécessaire ». Autrement dit, c’est l’option du tout électrique qui a été choisie. On décarbone, donc on électrifie, sans rien changer par ailleurs. On remplace le moteur à essence par le moteur électrique, le chauffage au mazout par le chauffage électrique, le diesel des camions par l’hydrogène et le tour est joué. D’où un accroissement prévisible phénoménal de la demande en électricité. Et une augmentation marquée des émissions de gaz à effet de serre pour produire cette nouvelle motorisation et ces nouveaux matériels.

Mais comme la production se fera hors de Suisse, on pourra accuser la Chine de ne pas tenir ses engagements dans la lutte contre le réchauffement climatique. Le résultat pour la planète est couru d’avance. Seule une réduction draconienne de la production et de la consommation électrique, et pas seulement sa simple décarbonisation, peut garantir une neutralité carbone.

Daniel Süri