« soins infirmiers forts »… et après ?

Une manifestation nationale des salarié·e·s de la santé a eu lieu samedi 30 octobre dernier à Berne, à l’appel des organisations syndicales et professionnelles du secteur. De souvenir de militant·e·s, cette mobilisation était une première dans un secteur où les employeurs se situent surtout au niveau cantonal.

Des aides-soignante portent des pancartes 'soignants épuisés patients en danger'
Manifestation du secteur de la santé, Berne, 30 octobre 2021

Avec 5000 manifestant·e·s, en très large majorité alémaniques, cette mobilisation est un important succès. Comme c’était prévisible au vu de la date et du type de mobilisation choisie, la manifestation a été entièrement focalisée sur le soutien à l’initiative de l’Association suisse des infirmières (ASI) soumise au vote le 29 novembre prochain. Les autres revendications du secteur, en particulier l’enjeu du manque de dotations et d’effectifs pourtant largement popularisé par la crise sanitaire, sont passées au second plan. La quasi-totalité des manifestant·e·s et des interventions se sont concentrée sur le « oui nécessaire » à l’initiative.

Malgré ces limites, la réussite de cette manifestation interpelle et donne aussi des responsabilités aux organisations qui l’ont portée. Quelles suites donner à cette mobilisation ? Comment poursuivre et amplifier, sur le terrain des luttes, cette réussite ? Que faire pour organiser collectivement une critique du système de santé et porter des alternatives politiques qui permettent réellement d’améliorer les conditions de travail et de soins ? Pour l’heure, ces questions restent en suspens.

Quel que soit le résultat de la votation du 29 novembre, il faudra pourtant rapidement prendre des initiatives pour que cette manifestation ne soit pas un simple coup de communication à usage unique.

Un oui nécessaire mais qui ne changera pas le fond du problème 

L’initiative soumise au vote le 29 novembre prochain dite « Pour des soins infirmiers forts » se veut une réponse à la crise de la profession soignante. En effet, le nombre de postes vacants en soins infirmiers avoisinent aujourd’hui les 12 000 et quatre infirmier·ère·s sur dix quittent la profession prématurément. Elle développe dans ce sens une logique positive en termes de formation et de besoins.

À contre-sens de la logique de marchandisation et d’économicité des soins qui imprègne l’ensemble du système, elle pose aussi, en termes généraux, les questions des conditions de travail et de la prise en charge des patient·e·s comme prioritaires. Mais elle comporte trop de faiblesses pour être la réponse aux enjeux actuels du secteur de la santé. De fait, elle rate sa cible pour plusieurs raisons.

D’abord, dans une logique corporatiste propre à une association professionnelle comme l’ASI, elle ne traite que de la position des infirmier·ère·s en oubliant toutes les autres professions essentielles pour des soins de qualité. À partir du renforcement de cette profession, l’initiative postule une amélioration générale et « automatique » de la prise en soin des patient·e·s dans tout le secteur. C’est évidemment impossible tant ce dernier reste soumis aux logiques de la marchandisation des soins.

Autre faiblesse principale : les termes très généraux utilisés dans le texte soumis au vote laissent toute l’interprétation aux Chambres fédérales pour la transformation du texte en loi. Par exemple, l’initiative parle de « rémunération appropriée des soins infirmiers », mais quelle est-elle ? Comment cette revendication sera-t-elle concrétisée dans les dispositions d’exécution qui reviendront à l’Assemblée fédérale. Le rapport de force actuel laisse peu d’espoir quant à de véritables augmentations salariales. L’ASI et ses soutiens seront dès lors contraints de sortir l’habituelle rengaine de la nécessaire bataille parlementaire pour concrétiser les objectifs de l’initiative .

Financement des soins, rouage de la marchandisation du système de santé

Autrement dit, et en admettant que le oui soit majoritaire le 29 novembre prochain (ce qui n’est pas acquis), les objectifs de l’initiative ne seront pas concrétisés.

Ceci dit, il est évident qu’un non à cette initiative serait une défaite politique pour les forces qui postulent la nécessité de sortir le système de santé de la logique de marché. Donc un oui est nécessaire. Mais il est tout aussi évident qu’un vote positif ne réglera aucun des problèmes posés par cette même logique marchande.

Pour cela, il faut s’attaquer au système de financement de la santé et sortir les institutions de santé des exigences de rentabilité qui profitent aux seules cliniques privées. Une tâche à laquelle nous devons commencer à réfléchir, en nous appuyant notamment sur les ravages de la marchandisation des soins, sur le contexte de la crise sanitaire et sur les mobilisations possibles dans ce secteur. Dans ce cadre, la manifestation du 30 octobre peut et doit être un point d’appui.

Vanessa Monney David Gygax