Pour un Spotify socialiste

Avec l’avènement du Web 2.0, qui permet aux musicien·ne·s et aux labels indépendants de diffuser de la musique à l’entier du monde connecté, on a pu croire que l’industrie allait se démocratiser. L’heure est à la gueule de bois.

Un manifestant tient une pancarte "My streams only bought this sign" à New York
«Mes streams ne m’ont permis d’acheter que ce panneau.» En moyenne nationale, un·e artiste étasunien·ne doit totaliser plus de 400 000 écoutes par mois pour toucher le salaire minimum. Rassemblement de protestation dans le cadre le la journée mondiale d’action « Justice at Spotify », New York, 15 mars 2021.

En quelques années, la part de marché des Big Tech dans l’industrie musicale a explosé – le streaming ayant remplacé la musique enregistrée comme principale source de revenus dans la branche – et les plateformes numériques sont devenues toujours plus prédatrices.

Au cours de la pandémie, les artistes ont largement compté sur les plateformes de streaming pour assurer leur subsistance, en raison de l’interdiction des concerts et de l’insuffisance des aides. Comme les musicien·ne·s dépendent des concerts, les problèmes structurels du streaming ont été mis en évidence, les artistes étant contraint·e·s d’accepter des paiements de redevances à la baisse comme seule source de revenus.

Du reste, les confinements ont encore consolidé la position des grandes plateformes de streaming, entraînant une augmentation des inégalités et des rémunérations inéquitables. Les grands labels utilisent leur avantage structurel pour engranger de gros profits au détriment des labels et musicien·ne·s indépendant·e·s.

Le capitalisme de surveillance donne le la

L’atout le plus profitable de Spotify est son algorithme, qui compose des suggestions et playlists personnalisées. La plateforme compte ainsi rivaliser avec Facebook et Google en tant qu’espace publicitaire, orientant les auditeurs·trices vers l’écoute d’artistes représenté·e·s par les grands labels. Ceux-ci paient ou renoncent à une partie des royalties en échange d’une exposition accrue via les algorithmes.

Seul·e·s les artistes inséré·e·s dans l’industrie culturelle tendent à réussir avec le streaming. 1 % d’artistes représentent 80 % des flux. Selon la journaliste Cherie Hu, seul·e·s 0,4 % des artistes au Royaume-Uni, presque tou·te·s signé·e·s par des majors, vivent du streaming.

Plus tôt cette année, une enquête parlementaire britannique sur le marché du streaming a proposé une révision complète du système et le lancement d’une étude sur la base de ces recommandations. Cependant, les tentatives de régulation des monopoles naturels sont souvent inefficaces et tendent à renforcer les principes néolibéraux de concurrence, d’atomisation et d’exploitation.

Musicien·ne·s en lutte

L’action parlementaire au Royaume-Uni a été notamment forcée par la Musicians’ Union. Aux États-Unis, l’Union of Musicians and Allied Workers a également lancé une campagne « Justice at Spotify » en 2020, signée par 4000 travailleurs·euses de l’industrie musicale, adressant un certain nombre de demandes à la plateforme. Bien que l’action collective des travailleurs·euses soit essentielle à la lutte contre les pratiques d’exploitation des Big Tech, cela ne peut être qu’une solution à court terme. La justice ne sera rendue que lorsque la musique sera soustraite à la logique du marché libre.

Pour changer le paradigme actuel, il faut se pencher sur la propriété des plateformes numériques et leur contrôle. Une plateforme de streaming financée par des fonds publics, dans laquelle la musique est considérée comme un bien public, appartenant à la collectivité et contrôlée par le peuple, démocratiserait l’industrie musicale et créerait une économie numérique plus durable. À l’instar des bibliothèques par exemple, le financement public remplacerait l’investissement en capital-risque. En l’absence de contrats publicitaires, un tel modèle réduirait l’inégalité entre labels indépendants et grands labels, tandis que la surveillance et la marchandisation des données serait abolie. Quant aux algorithmes, ils pourraient être rendus transparents, garantissant la protection de la vie privée et des données.

Le modèle actuel de streaming n’a pas été construit en pensant aux artistes. Les intérêts des grands labels, des plateformes de streaming et des investisseurs·euses visent à maintenir le statu quo et les profits, tandis que l’exploitation des artistes et la dévalorisation de leur musique se poursuivent. Tou·te·s les musicien·ne·s, commercialement viables ou non, devraient pouvoir bénéficier de ressources adéquates.

La musique ne doit pas être un simple contenu utilisé pour vendre des espaces publicitaires. Conçue pour servir les artistes, les travailleurs·euses du milieu musical et le public, une plateforme de streaming coopérative et contrôlée par la collectivité permettrait de sauver leur potentiel radical des prix prédateurs, du capitalisme de surveillance et de la financiarisation.

Charlie Bird pour la revue Jacobin (jacobinmag.com).
Traduit et adapté de l’anglais par notre rédaction