Le socialisme guérira-t-il de la social-démocratie ?

Un ouvrage récent de Mateo Alaluf, professeur émérite de sociologie de l’Université libre de Bruxelles, analyse l’évolution du courant dominant à gauche, du moins dans l’hémisphère Nord, la social-démocratie.

Effigie du chancelier Olaf Scholz lors d'une action d'activistes du climat
Action lors de l’investiture du chancelier Olaf Scholz pour dénoncer les insuffisances de la politique climatique de la coalition SPD-Verts-Libéraux.

Aucun courant du socialisme n’a été épargné durant le 20e siècle. Lors de l’effondrement de l’URSS en 1989, l’opinion dominante tablait sur la mort des courants révolutionnaires. La social-­démocratie avait alors le vent en poupe.

Trois décennies plus tard, Mateo Alaluf pose d’emblée un diagnostic sévère en introduction de son livre : « Après la quasi-disparition des partis communistes, les socialistes vivent aujourd’hui une crise existentielle ». Il relate l’histoire (depuis la fin du 19e siècle) des partis sociaux-démocrates en Allemagne (où le SPD vient toutefois de conquérir la chancellerie, en coalition avec les Verts et les libéraux), en Belgique, en France, en Grande-Bretagne et en Suède. On regrettera (mais cela nécessiterait certainement un autre ouvrage) que Mateo Alaluf n’aborde que marginalement la situation de ces mêmes formations dans les pays de l’Europe du Sud.

De l’anti-capitalisme au social-libéralisme

Mateo Alaluf retrace l’historique d’une évolution de ces partis en quatre étapes. Premièrement, le moment des réformes en tension avec l’objectif socialiste, défini notamment par la propriété collective des moyens de production ; deuxièmement, l’arrivée, essentiellement après la 2e guerre mondiale, de ces partis au gouvernement (s’accompagnant d’un abandon du marxisme au profit de principes moraux d’égalité, de justice et de liberté) ; troisièmement, leur ralliement complet, à partir de la fin des années 1970, aux lois du marché, avec l’émergence du néolibéralisme ; et finalement, le déclin, à partir de la crise financière de 2008 d’une social-démocratie convertie au social-libéralisme. Avec la montée parallèle d’une extrême-droite « national-populiste », notamment dans les pays du Nord de l’Europe, où la défense de l’État social vire au social-chauvinisme (cas emblématique : le Danemark, où la social-démocratie reprend les thèses de l’extrême-droite en matière de migration).

Une rénovation possible ?

Hormis l’analyse de cette involution, depuis la fin du 19e siècle, Mateo Alaluf relève que « au moment où il sombrait en Europe, le socialisme semble avoir retrouvé sa radicalité outre-Atlantique avec Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-­Cortez. Le legs du socialisme (…) permet-il de formuler à présent l’hypothèse d’une gauche de gauche ? Rien n’est sûr pour l’avenir ». Et d’estimer que « le legs subversif du socialisme (…) doit pouvoir s’incarner dans toutes les sensibilités de la gauche, socialiste rénovée, gauche radicale et écologiste ».

Une problématique à débattre

On peut en effet douter que « le legs subversif du socialisme » anime un tant soit peu les partis sociaux-­libéraux et que la construction d’une alternative anti­capitaliste puisse passer par leur canal. La seule tentative récente de rénovation, celle du Labour Party (Grande-Bretagne) avec l’élection à sa tête en 2015 de Jeremy Corbyn, a échoué, notamment en raison du sabotage de l’appareil blairiste (resté en place) et de l’offensive de la classe dominante britannique contre un trouble-fête susceptible de rompre le consensus politique créé depuis le gouvernement de Tony Blair.

D’autre part, revenant brièvement sur l’expérience grecque de 2015, Mateo Alaluf estime que « Syriza avait d’ailleurs choisi, avec raison, l’Union européenne contre une aventure isolationniste qui n’aurait pu être que nationaliste » (p. 110). Rien n’est moins sûr : la capitulation en rase campagne de Syriza a brisé la montée possible des alternatives de gauche en Europe du Sud (notamment dans l’Etat espagnol, où Podemos a passé de « l’assaut au ciel » à une coalition gouvernementale avec le PSOE). Sur la crise grecque, il convient d’effectuer une lecture croisée des ouvrages (opposés) de Yanis Varoufakis, Conversations entre adultes, et d’Eric Toussaint, Capitulation entre adultes.

Nonobstant ces réserves, l’ouvrage de Mateo Alaluf mérite la lecture et le débat. À (re)lire également deux autres ouvrages : Histoire globale des socialismes, paru cette année, et Histoire générale du socialisme (1972-1978). Si celui-ci est daté, il contient toutefois des éléments historiques utiles.

Hans-Peter Renk

À lire

  • Jean-Numa Ducange, Razmig Keucheyan, Stéphanie Roza (Dir.), Histoire globale des socialismes : XIXe–XXIe siècle, Paris, PUF, 2021
  • Droz, Jacques (Dir.), Histoire générale du socialisme. Paris, PUF, 1972-1978, 4 vol.

Couverture du livre Le Socialisme malade de la social-démocratieMateo Alaluf, Le socialisme malade de la social-démocratie, Lausanne, éditions Page 2 ; Paris, Syllepse, 2021