La misère du salaire minimum légal

Le 1er décembre dernier, la loi pour un salaire minimum cantonal est entrée en vigueur au Tessin. Or, elle est largement insuffisante et a de nombreux effets pervers.

La triste histoire du salaire minimum légal commence en 2004 lorsque les Vert·e·s décident de lancer une initiative constitutionnelle nommée « Salviamo il lavoro in Ticino » (Sauvons le travail au Tessin) dans laquelle ils·elles revendiquent trois choses :

  • l’introduction du principe d’un salaire minimum légal (différent selon le secteur, mais sans proposer un montant minimum) ;
  • la possibilité de déroger à celui-ci par le biais de conventions collectives nationales, régionales ou d’entreprise ;
  • l’introduction de ce principe, au niveau de l’engagement, pour les travailleurs·euses indigènes.

L’ensemble de l’échiquier politique a soutenu cette initiative y compris les représentant·e·s du patronat, à l’exception du Mouvement pour le socialisme (MPS). Il a critiqué les trois aspects susmentionnés, en faisant valoir que si cette initiative était acceptée, nous nous retrouverions, après quelques années, à discuter de salaires minimums de 3000 à 3200 francs brut par mois.

Des salaires minimums misérables et la possibilité d’y déroger…

En 2019, le parlement cantonal adopte la loi : un salaire minimum est prévu qui fluctue entre 19 et 19,50 francs de l’heure. Cela correspond à un salaire mensuel brut entre 3192 et 3276 francs (sur 13 mois). C’est une misère institutionnalisée. En effet, un salaire de 3200 francs est inférieur de 40 % au salaire cantonal médian (5363 francs).

Le MPS est le seul à contester ces niveaux de salaires, affirmant qu’un niveau si bas ne combat pas mais encourage le dumping salarial. Il deviendrait une référence pour l’ensemble des salaires. Nous proposons une série d’amendements visant l’amélioration du salaire, et à empêcher que ces salaires déjà dérisoires ne puissent faire l’objet de dérogations par d’autres types d’accords contractuels. Là aussi, la proposition de supprimer la possibilité de dérogation est ignorée par la « droite » et la « gauche ».

Comme si cela ne suffisait pas…

Le 1er décembre 2021, la loi entre en vigueur. Mais l’offensive patronale ne se fait pas attendre. Un groupe d’entreprises conteste sans succès le principe du salaire minimum légal devant le Tribunal fédéral et décide de jouer la carte de la dérogation. Avec l’aide de la droite xénophobe (Lega dei Ticinesi), un « syndicat » (le TiSin) voit le jour et fait adopter aux assemblées de certaines entreprises une convention avec des salaires encore plus bas que ceux prévus par la nouvelle loi.

Un débat s’ouvre sur la vraie nature de cette loi et sur les possibilités de la contourner. Notamment parce que de plus en plus d’entreprises dénoncent la difficulté à survivre en appliquant les maigres salaires minimaux prévus par la loi. De nombreux accords d’entreprise dérogatoires sont susceptibles de se manifester. Avec l’encouragement des directions, il suffit de constituer des associations professionnelles d’entreprises pour conclure de tels accords.

Malheureusement, les syndicats jouent le jeu. Au cours des derniers mois, des accords dérogatoires ont été signés pour des secteurs entiers dont celui du textile et de l’horlogerie. Il faudra quelques années pour que les salaires versés dans ces secteurs soient adaptés aux minimums légaux.

Entre-temps, des propositions de loi ont été avancées afin d’au moins corriger la situation concernant les dérogations. La députation MPS a proposé deux initiatives parlementaires (reprenant les propositions avancées il y a plus de deux ans). Silence de tous les partis, sauf du PS et de ses satellites qui ont décidé de corriger le tir en annulant la possibilité de dérogations en lançant une nouvelle initiative constitutionnelle.

Deux problèmes majeurs

Cette histoire met en lumière, d’une part, la faiblesse des syndicats, leur difficulté à être présents, à organiser et mobiliser les travailleurs·euses sur les lieux du travail – ce qui devrait être l’essence du syndicalisme.

D’autre part, les dynamiques perverses du principe du salaire minimum dans un pays comme la Suisse, caractérisé par une construction intentionnelle et juridique qui, de fait, empêche que le salaire minimum légal puisse sérieusement être un instrument d’émancipation pour l’écrasante majorité des salarié·e·s. Il peut tout au plus améliorer (et ce n’est certainement pas quelque chose que nous voulons minimiser) les conditions salariales des secteurs marginaux et mal payés des travailleurs·euses. Mais en fin de compte, cela semble être davantage une réponse au besoin, surtout patronal, de réguler au minimum la concurrence entre les patrons (dans une large mesure, c’est la fonction principale des conventions collectives en Suisse).

Giuseppe Sergi MPS Tessin
Propos traduits par Arta Shala