La bataille des retraites et des salaires au Tessin
Retour sur la genèse d’ErreDipi, un réseau de défense des retraites qui a vu le jour au Tessin dans le contexte d’une lutte autour de la caisse de pension du secteur public et qui s’organise désormais pour une amélioration des conditions salariales.
Depuis plusieurs années, le gouvernement et ses partis (tous, de droite à gauche) prônent la nécessité de «réformer» la caisse de pension du secteur public IPCT qui, selon eux, n’est plus en mesure de garantir des pensions suffisantes au regard des moyens dont elle dispose.
Une situation qui résulte non pas tant d’un dysfonctionnement «naturel» entre les recettes et les dépenses, mais d’une politique délibérée de sous-capitalisation menée depuis trois décennies par les gestionnaires de IPCT, notamment par le biais d’une réduction – à plusieurs reprises – des cotisations patronales.
Ainsi, en 2012, de l’avis de tous (partis et syndicats – à la seule exception du MPS – Mouvement pour le socialisme) on est passé de la primauté des prestations à celle des cotisations, avec une diminution moyenne des rentes futures de 20%.
Une décision qui n’a pas été en mesure de repondre de manière adéquate au problème de la sous-capitalisation ; ainsi, le conseil d’administration de IPCT a décidé – à l’unanimité, donc également avec l’accord des représentant·es syndicaux·ales au conseil d’administration (CA) – d’abaisser le taux de conversion de 6,17% à 5,25% d’ici à 2031. Une décision qui aurait entraîné une nouvelle baisse de 20 % des rentes.
La naissance d’ErreDiPi
Jusqu’à la mi-2022, cette perspective, bien que connue depuis plusieurs mois, n’avait pas suscité d’opposition, notamment de la part des organisations syndicales. C’est en juin 2022 que la mobilisation et le travail d’organisation ont commencé à se développer (notamment à partir des écoles) contre cette perspective d’attaque sur les retraites.
C’est là que naît ErreDiPi (réseau de défense des retraites) qui prend l’initiative de mobiliser les salarié·es du secteur public et parapublic contre la baisse du taux de conversion tant que l’employeur (le canton et les collectivités publiques concernées) n’aurait pas pris des mesures compensatoires pour éviter la diminution des revenus des retraites.
Parallèlement, ErreDiPi conteste à la fois les plans de «réorganisation» de l’IPCT et l’utilisation des cotisations d’épargne versées par les salarié·es. Cela donne lieu à une mobilisation, menée par ErreDiPi et à laquelle, obtorto collo, les organisations syndicales traditionnelles (SSP et syndicats chrétiens) sont contraintes de se rallier. Le premier rendez-vous est fixé à fin septembre 2022 ; quatre mille personnes défilent à Bellinzone, du jamais vu ces dernières années.
Une mobilisation continue
D’autres journées d’action ont suivi (marches, manifestations, agitations sur les lieux de travail, y compris des grèves) jusqu’à la discussion au Parlement. Les propositions négociées par les syndicats – bien qu’insatisfaisantes à bien des égards – permettent d’éviter les diminutions des futures pensions, surtout pour les travailleur·euses proches de la retraite.
Le Parlement et le conseil d’administration de l’IPCT ont accepté ces mesures, malgré l’opposition de l’extrême droite (Lega et UDC), qui a réussi à faire passer le référendum obligatoire. Le vote aura lieu le 9 juin. Une bataille loin d’être définitivement gagnée ; et même en cas de victoire le 9 juin, de nombreux problèmes fondamentaux de l’IPCT restent en suspens, à commencer par sa sous-capitalisation.
Des pensions aux salaires
Depuis, ErreDiPi, qui représente en fait une tentative – encore fragile et incertaine – de construction d’un syndicalisme d’en bas, a élargi son action des pensions aux salaires. La compensation du rencherissement – le gouvernement ne propose qu’une allocation unique de 400 francs par an pour tou·tes – a fait l’objet de nouvelles mobilisations unitaires, mais dans lesquelles ErreDiPi montre sa capacité à mobiliser sur les lieux de travail (principalement dans les écoles et les services psycho-sociaux) et dans les manifestations organisées à l’issue des journées d’action.
La dernière, le 29 février, a donné lieu à des actions de grève dans différents secteurs et à une manifestation cantonale réunissant 6000 personnes : une journée de mobilisation historique.
Pour l’instant, le gouvernement ne semble pas vouloir céder et, malheureusement, les syndicats ont fait des «ouvertures» dans lesquelles ils semblent prêts à geler la hausse des prix pour 2024 et à la reporter à 2026. Une proposition à laquelle s’oppose ErreDiPi, qui envisage une nouvelle journée d’action.
Affaire à suivre…
Pino Sergi