Grève chez Smood

Une lutte exemplaire

Malgré cinq semaines de grèves de livreurs et livreuses sur une dizaine de villes de Suisse romande, Smood n’a pas cédé face aux revendications de ses livreurs·euses. Le mouvement est actuellement suspendu.

Action devant les McDonald's de Crissier
Manifestation devant le McDonald’s de Crissier, décembre 2021

En effet, lundi matin, le Conseil d’état genevois a saisi la Chambre des Relations Collectives de Travail (CRCT), suspendant de ce fait toute mesure de lutte ou de représailles pour 40 jours au maximum. L’objectif ? Que Smood et les livreurs·euses en grève, accompagné·e·s du syndicat Unia, trouvent une issue sous l’égide du canton de Genève. Ce qui est loin d’être acquis. Les grévistes sont donc retourné·e·s au travail sans avoir obtenu gain de cause, et restent soudé·e·s afin d’être prêt·e·s, le cas échéant, à relancer un mouvement collectif. Premier bilan à chaud.

L’exploitation au 21e siècle

Pour rappel, Smood, connue du grand public comme une application permettant de mettre en lien des restaurants et des client·e·s souhaitant recevoir leurs mets « à domicile », emploie des salarié·e·s, et non des pseudos indépendant·e·s comme c’est le cas d’autres plateformes concurrentes comme Uber Eats. Parfois, les livreurs·euses sont contracté·e·s directement par Smood. Mais dans la plupart des cas, Smood engage du personnel via une agence de travail temporaire, Simple Pay, aux mains d’une ancienne administratrice de Smood.

Dans tous les cas, le traitement que réserve Smood aux livreurs·euses de repas de l’application est indigne, mal payé et s’apparente à du travail à la tâche : heures de travail disponibles le matin pour le jour même, non-paiement des heures à « attendre » les commandes, remboursement dérisoire des frais liés au travail (véhicule, téléphone portable, etc.). Comme si cela ne suffisait pas, de nombreux dysfonctionnements se sont accumulés sur les derniers mois : pertes d’heures de travail et de déplacement réguliers sur les fiches de salaire, erreurs jamais corrigées dans les délais raisonnables, management irrespectueux, violent, etc.

La résistance au 21e siècle

La grève a démarré et s’est étendue sur ce terreau, à partir de revendications « offensives ». Pourtant, ce n’était pas une branche où le syndicat était présent. Pas plus Unia que Syndicom, syndicat dont on a appris une fois la grève lancée qu’il discutait avec Smood depuis plusieurs mois, dans l’optique d’une lointaine convention collective de travail. Pas un seul des livreurs·euses rencontré·e·s n’en avait eu vent, ni ne connaissait Syndicom. C’est vers Unia qu’ils et elles se sont tourné·e·s pour se renseigner, et se défendre, individuellement puis collectivement.

Une fois les premiers contacts créés, la grève lancée et à fortiori au fur et à mesure que le mouvement se développait de ville en ville, le personnel d’Unia a travaillé à l’élargissement et à la structuration de la grève. Des piquets ont été tenus chaque semaine et des comités locaux ainsi que des délégations nationales ont été mis en place. Évidemment, les choses ne sont pas faites par enchantement et sans soutien logistique concret de l’appareil syndical.

Mais il faut surtout souligner que la grève, qui n’était absolument pas prévue à l’agenda syndical quelques jours avant son déclenchement, a surpris et débordé ce que le syndicat avait et pouvait imaginer faire. Dans leur radicalité, dans leur détermination sur la durée, les grévistes ont donné une grande leçon de courage et de redécouverte de pratiques de luttes qu’on croyait dépassées. Au monde syndical mais aussi à l’ensemble de la population.

Celle-ci ne s’y est d’ailleurs pas trompée. Dans les rues, sur les piquets de grèves, elle a massivement signé la pétition lancée par les grévistes (plus de 12 300 signatures). Elle a formé dans les villes et cantons concernés des comités de soutien, auxquels solidaritéS participe activement, dans le but de soutenir les revendications et la lutte des grévistes. Un appel de personnalités publiques a ainsi été lancé sur le canton de Vaud. Une action contre le géant Migros, actionnaire à plus de 30 % de Smood, a eu lieu également. En fin de semaine dernière, des actions de protestations devant les McDo de Crisser et de Lausanne ont eu lieu.

Malgré plusieurs dizaines de grévistes sur toute la Suisse romande, malgré une pression importante de l’opinion publique, et malgré des revendications relevant le plus souvent d’applications de la loi sur le travail ou du Code des Obligations, pourtant minimalistes en matière de protection sociale, les patrons ont refusé, malgré deux longues rencontres, toute issue acceptable.

Quoiqu’il en soit par la suite, dans le pays de la paix du travail, marquée par l’apathie et l’absence de culture de la grève, une telle dynamique syndicale restera pour de longues années un point de référence important pour notre classe sociale.

Gwenolé Scuiller