Retour de Porto Alegre: bilan à chaud
Retour de Porto Alegre
Bilan à chaud
Nous étions plusieurs membres et sympathisants de solidaritéS à participer au deuxième FSM de Porto Alegre comme délégué-e-s de mouvements associatifs et syndicaux. Au retour, nous nous sommes retrouvés pour faire un premier bilan à chaud qui s´est avéré assez enthousiasmant, malgré certaines réserves. Mais voyons de plus près les appréciations de chacun-e
Florian Rochat avait certaines appréhensions au départ, craignant une forte tentative de récupération de la part des forces institutionnelles les plus «modérées». Or, si l´on s´en tient au Forum des mouvements sociaux, sans prendre en compte celui des parlementaires, la tonalité des débats y était plus radicale qu´en 2001.
Les mouvements sociaux en tête
Les mouvements qui représentent les secteurs dominants de la résistance à la mondialisation capitaliste (paysans, peuples autochtones, femmes) étaient très présents. Le point de vue socialiste révolutionnaire était largement affirmé, par rapport à celui qui prône un aménagement du capitalisme existant. Enfin, même si le poids des délégations restait inégal, l´Europe n´occupait plus une place aussi importante: symboliquement, ce sont un Colombien, un Indien et une Malienne qui ont pris la parole lors de la cérémonie de clôture. Par ailleurs, le MST (Mouvement des Sans Terre) était en première ligne (contrairement à 2001), et tenait le discours le plus radical et le plus complet. Deux sujet d´inquiétude pourtant: la perception largement répandue du capital financier comme une nébuleuse, qui évacue les rapports antagonistes entre les classes sociales. Ensuite, l´importance accordée par certains à la discussion avec les «global leaders» du WEF.
Le nouveau-né a appris à marcher
Daniel Künzi considère le FSM 2002 comme un succès gigantesque. Pour reprendre la métaphore de Ricardo Petrella: le nouveau-né qui criait déjà en 2001, a désormais appris à marcher
Par contre, il est difficile de faire une synthèse de plus de 900 ateliers et de dizaines de conférences. Pourtant, la radicalité des débats dépassait largement les échos qu´en a rapporté la grande presse, notamment «Le Monde». Il y avait beaucoup de jeunes, le potentiel est énorme.
Ce FSM a constitué également un événement considérable aux yeux d´Eric Decarro. Des processus ont été engagés, porteurs de beaucoup d´énergie.
Le constat a été unanime dans la critique du modèle néo-libéral, avec des ambiguïtés certes par rapport à la volonté de rupture avec le capitalisme, notamment entre l´option qui vise une «humanisation» du système et celle qui veut le renverser. Cette tension était un peu cachée par la formule ambiguë: un autre monde est possible.
Le FSM a aussi permis une intéressante confrontation entre le mouvement syndical et les mouvements anti-mondialisation, ce qui a fait apparaître de manière éclatante le retard des syndicats. Ils revendiquent un certain «droit d´aînesse», comme «premiers internationalistes». Cependant, si leur présence à Porto Alegre représente une avancée, ils doivent absolument revoir leur position par rapport à la régulation de cette mondialisation-là, aux clauses sociales ou encore à la nécessité de défendre la compétitivité nationale (qui est fonctionnelle au modèle néolibéral).
Renforcer des lieux de réflexion et d´action
Quant à la plate-forme des mouvements sociaux, publiée notamment par Le Courrier du 8 février, elle est importante et claire dans sa critique du système et de la guerre. Ceux qui l´acceptent peuvent maintenant se réunir et constituer des lieux de réflexion, de discussion, de mobilisation et d´action.
Juan Tortosa estime lui aussi que le FSM a représenté un succès immense, notamment par l´importance des secteurs de la jeunesse présents. Pourtant, la question des ponts entre les différents Forums – FSM, campement des jeunes et Forum des parlementaires – s´est posée. Un fossé immense est apparu entre les jeunes et le Forum des parlementaires, porteurs de deux visions du monde différentes. L´Argentine était très présente, avec des mots d´ordre radicaux (socialisme, rupture avec le capitalisme, etc.). Enfin, ce sont les «politiciens» qui sont venus chercher leur légitimité auprès des mouvements sociaux et non l´inverse.
Il ne faut pas oublier cependant qu´il va y avoir une répression soutenue contre tous ces mouvements, surtout dans le Sud, mais également dans le Nord.
Pour ma part, je relève l´importance du FSM comme espace permettant à des militant-e-s du Sud, issus de différents continents, de se rencontrer et de partager leurs expériences respectives, ce qui a donné lieu à des confrontations émouvantes et enrichissantes. Ces rencontres entre mouvements sociaux ont constitué un événement nouveau; elles porteront certainement leurs fruits si elles peuvent se poursuivre.
Ouverts aux vents de la lutte des classes
En vrac, d´autres aspects sont ressortis de notre bilan.
D´abord, la grande manifestation de New York contre le WEF a eu un grand écho à Porto Alegre. Ensuite, l´actualité des luttes internationales traversait le FSM: la Palestine, la guerre (alors qu´en 2001 ce sujet était quasi-absent des débats) ou les résistances latino-américaines au Plan Colombie et à l´ALCA/ZLEA. Peut-être, le sentiment de force ressenti au cur de cette immense Forum a-t-il un peu occulté la puissance de l´offensive politique, sociale, économique et militaire de l´impérialisme, notamment suite au 11 septembre. Enfin, si le FSM a été dominé par les mouvements les plus radicaux, c´est sans doute grâce à la puissance de la montée en cours des luttes sociales en Amérique latine, notamment en Argentine, en Colombie et dans les Etats andins.
Enfin, même si le slogan «un autre monde est possible» demeure ambigu, il faut souligner qu´il représente un progrès gigantesque par rapport à la situation d´il y a cinq ans à peine, où les adeptes de la «fin de l´histoire» tenaient encore le haut du pavé
La lutte continue donc pour promouvoir cet autre monde et lui donner le sens d´un changement radical de l´ordre social.
Florence GERBER