Affaire Hensler: le jardin secret du chancelier

Affaire Hensler: le jardin secret du chancelier

Notre camarade Rémy Pagani, secrétaire du syndicat des services publics (SSP) a fait la une des médias, après avoir dénoncé les conditions de travail, le mobbing et les dysfonctionnements de l’Ecole horticole de Lullier à Genève, notamment le travail non facturé effectué par cette école, à hauteur de 200 heures par an, pour l’entretien du jardin de la villa privée du Chancelier du Canton de Genève, Robert Hensler. Dessous de table que le Conseil d’Etat genevois unanime est monté au créneau pour défendre. Interview.

Les journaux parlent surtout de l’«affaire Hensler» et guère de ce qui a d’abord motivé l’intervention du SSP: les conditions de travail du personnel de Lullier, notamment le mobbing subi durant des années. Ton point de vue?

Rémy PAGANI: C’était prévisible. Pourtant, lors de notre conférence de presse du 3 février, nous nous sommes attachés à montrer que notre activité syndicale s’inscrivait dans la durée et qu’elle dépassait le «nettoyage» que nous demandons…

A Lullier, l’organisation syndicale à la base a pris corps, il y a plus d’un an. Le personnel subissait des brimades et soupçonnait des malversations. En mars, avec lui, nous avions décidé de passer par la voie hiérarchique et exigé une enquête administrative. Sous cette impulsion, une enquêtrice était nommée, qui a rendu un rapport au Conseil d’Etat, conduisant celui-ci en août 2003 à nommer Bernard Bertossa, ex-procureur général, pour qu’il mène une véritable enquête administrative. Contrairement au personnel, qui avait raison de se méfier, nous avions confiance dans les investigations de cet enquêteur «prestigieux». Espérant que dans le courant de son instruction, les vingt personnes ayant déposé contre Monsieur Meylan (un des directeurs de l’établissement) pour dénoncer des agissements humains et financiers déplorables seraient enfin reconnus dans leur souffrance.

Nous avons été stupéfaits des conclusions du rapport. Il y est attesté que le personnel a subi nombre de brimades et d’attitudes inappropriées, reconnues comme mobbing, mais sans que celles-ci aient été investiguées complètement. Ainsi Bernard Bertossa n’a pas pu recommander des sanctions relatives à ce volet, ça dépassait le cadre de son mandat!

Vous êtes donc revenus à la charge?

Oui. Mais il faut en revenir au fond et constater, une fois de plus, que le néolibéralisme a des effets dévastateurs dans l’administration des services et au sein de la justice. Sous le gouvernement monocolore de droite ont été implantés dans l’administration une série de directeurs «venant du privé»: à la prison de Champ d’Ollon, à l’Office des poursuites et faillites de Carouge (OPF), à l’Office cantonal de l’Assurance Invalidité… Ces personnes étant à l’opposé d’une des valeurs fondant la solidarité et la coopération, à savoir la transparence, se sont ingéniés à accorder des privilèges, à certains et non à d’autres, sous prétexte du «mérite», jusqu’à encourager la fraude à défaut de moyens financiers officiels. Lorsqu’il s’est agi de dénoncer ces pratiques, leurs amis néolibéraaux les ont compris et même, pour certains, soutenu.

Un exemple illustre ce processus. Aux OPF, des cadres s’étaient acheté des téléphones portables et fait rembourser leurs coups de fils avec l’argent d’une «caisse noire». Pour se défendre, ils ont avancé, à raison, que l’administration n’avait pas d’argent pour leur procurer cet outil nécessaire à leur activité professionnelle… Ce sont les mêmes milieux qui vident sans vergogne les caisses de l’Etat par des cadeaux fiscaux répétés aux riches, et qui, lorsque l’administration n’a plus les moyens d’agir accordent aux plus «méritants» des «privilèges» occultes et font taire celles et ceux qui s’en plaignent.

On voit qu’on est là dans une logique, non pas «traditionnelle» mais bien néolibérale, dont l’«affaire Hensler» est un symptôme aigu: non transparence, privilèges occultes, cadeaux aux plus aisés. Il y a donc des liens directs entre ce que révèle cette «affaire» et le mobbing du personnel de Lullier.

Ces campagnes de «nettoyage» que tu portes (OPF, OCAI…) parmi tes autres activités syndicales au sein de la fonction publique, ne sont-elles pas de nature à «faire le lit» de l’UDC, avec son slogan populiste «tous pourris» et à détourner l’attention des questions essentielles?

Le risque est réel. Mais les valeurs auxquelles nous croyons, celles de la solidarité et de la coopération, qui sont le quotidien de chacun-e d’entre nous, sur son lieu de travail, dans sa vie privée, exigent une profonde transparence de l’action politique et de celle de la fonction publique. C’est une condition essentielle pour qu’elles puissent s’imposer un jour au niveau de la société entière contre les valeurs que véhiculent le capitalisme. En effet, le capitalisme du XXIe siècle c’est toujours plus la tricherie, l’accumulation démentielle des richesses par une toujours plus petite minorité, l’exploitation et la subordination dans les rapports de travail. Et l’UDC de Blocher défend plus que tous les autres partis ces valeurs-là, par exemple en exigeant l’inscription du secret bancaire dans la Constitution, alors que celui-ci est le paravent de fraudes et de vols de tous ordres…

Si lors de nos dénonciations il y a un risque d’interprétation populiste, il nous appartient de marteler que nous sommes dans un processus de destruction et d’accaparement mené par la bourgeoisie de ce pays et soutenu par l’UDC, que ces «affaires» sont le résultat de la politique des «caisses vides» de ces 15 dernières années qui peut pousser des cadres de l’administration et certains hommes (ou femmes) d’Etat à se servir dans la caisse. Comme le font d’ailleurs parfois des personnages (directeurs de banque et de transnationales) qu’ils côtoient et qu’on érige en «modèles». Il est donc primordial pour celles et ceux qui se réclament et pratiquent la solidarité et la coopération d’exiger, à leurs niveaux, et en tous temps, de tout savoir. C’est ce que le mouvement ouvrier international appelait le contrôle populaire, c’est dans cet esprit qu’il faut se battre…

Entretien réalisé par la rédaction