Laction sociale aux urgences: système «Migros» ou service public?
Laction sociale aux urgences: système «Migros» ou service public?
Pierre-François Unger, l«urgentiste bourgeois» chargé du Département des affaires sociales et sanitaire genevois veut réformer les Centres daction sociale et de santé (CASS). Ceci dans une période tourmentée: colère des collaborateurs de lHospice général face à leurs conditions de travail, coups de gueule du Conseil dadministration de lHospice, insatisfaction du côté du personnel de la FSASD1 quant à ses salaires et surtout explosion des demandes daide sociale, financière et sanitaire.
Dans ce cadre, aborder la «rationalisation» de laction politique exige denvisager la lutte contre la misère dans la perspective dune responsabilité sociale de lEtat. Les lois sur les CASS et sur lassistance publique sont au cur de la problématique.
Réforme technocratique ou participative?
Concédons au ministre la nécessité dune réforme, mais celle quil dessine est technocratique. Le discours de son prédécesseur était «le client au centre du dispositif», celui-ci devant «pouvoir entrer dans un CASS comme dans une agence de voyage et choisir sa prestation». Le «client» devient «la trajectoire de vie des individus». Lagence de voyage se rapproche du quotidien des gens… puisquon prône lintroduction des «3M» selon la taille du CASS, sur le modèle Migros. Le fond est le même.
Les CASS sont certes gangrenés dans leur fonctionnement. Mais toiletter structures ou organigrammes ne soignera pas le mourant. Un traitement nécessaire serait dorganiser une démarche participative dans les quartiers pour chaque CASS, permettant dentendre les besoins réels de la population. Un autre traitement, complémentaire au travail détudes et de statistiques de lHospice, serait de créer un observatoire socio-sanitaire des phénomènes conduisant à la précarité et à lexclusion. Car la pauvreté ne se réduit pas à une approche économiste dharmonisation de barèmes! Elle doit se mesurer aussi par le taux de disqualification professionnelle et sociale, les privations de citoyenneté, de culture, de liens sociaux. Phénomènes absents du vocabulaire du ministre, mais qui permettraient de mieux cerner les facteurs de précarisation.
Ces approches permettraient aussi aux travailleurs-euses sociaux de remplir leur mandat de réduction de la société duale, en favorisant une meilleure adaptation des personnes au milieu où elles vivent, en développant le sentiment de dignité et de responsabilité des individus dans leurs droits et devoirs sociaux. Approche liant proximité et réalité des usagers.
Contrôle des coûts ou prévention
Aujourdhui, nos dirigeants ont une vision dévalorisée du travail social. Le seul critère dévaluation retenu est le coût. Logique qui multiplie et complexifie les contrôles administratifs. La charge des institutions «contrôlantes» augmente, au détriment des bénéficiaires de laide sociale.
Autre reflet de cette logique: lEtat veut systématiser le versement des prestations mensuelles sur les comptes bancaires ou CCP des bénéficiaires daide sociale, confirmant ainsi quil y aurait des «inutiles au monde» (R.Castel) à qui lon peut se contenter de verser une rente sociale minimale dexclusion. Dans la logique «Migros», lintérêt est le pouvoir dachat et non le parcours de vie des individus.
Il faudrait casser cette logique, promouvoir des assises de lintervention sociale et redéfinir un pacte de solidarité envers les plus fragiles! «Spinoza a conçu lorganisation de la société comme issue dun pacte social qui fonderait également la démocratie et la solidarité entre hommes vivant sous la conduite de la raison apte à se doter de droits politiques et sociaux…»2. Développons cette forme de solidarité par un dialogue, entraînant une obligation morale de ne pas «desservir» les autres, mais de leur porter protection et assistance.
Le projet de structure
Lorganisation des CASS nest plus efficiente avec ses quatre employeurs différents, mais il faut refuser de sacrifier cette structure à la «nouvelle gestion publique» (NPM) et aux «mandats de prestations». Aide sociale et soins à domicile relèvent de droits constitutionnels, ils doivent dépendre dun service public et non dun système doffre et de demande. Or cest là que le ministre veut nous mener par la mise en concurrence des divers acteurs.
Créer une structure à employeur unique et avec un directeur par CASS conduira à de nouveaux cloisonnements érigés par les «petits chefs». Le nombre de strates hiérarchiques induit déjà une dilution de responsabilités et un renforcement de la promotion par copinage. La logique du contrat de prestations favorisera ce clientélisme. Le directeur du centre aura une priorité: ne pas dépasser son budget sous peine de sanction, voire de licenciement.
La structure proposée serait une fondation ou un établissement public autonome doté dun conseil dadministration (CA). A sa tête, un directeur nommé par le CA, assurant les tâches transversales (RH, finances, formations, informatique, etc.) et dirigeant les directeurs des CASS. Chaque CASS aurait son propre conseil exécutif avec des membres désignés par les communes, par lEtat et présidé par un membre de lExécutif communal. Ce dernier posera problème. Il devra rester «collégial» tout en répondant aux besoins de la population. Sil y a tiraillement, on peut parier que certaines prestations ne verront jamais le jour.
En juin 2000, le Forum Santé écrivait « lorganisation et la mission des CASS sont au centre des rivalités, voire des marchandages entre les communes et le canton»!3 Devant des situations de vie toujours plus complexes confrontées à des niveaux dintervention différents avec des législations fédérales, cantonales et communales, il faut à tout prix favoriser les décloisonnements. Pour les populations marginalisées les repères sont quasi introuvables entre ces niveaux. Lutter contre cette vision des CASS relève de la solidarité avec les plus démunis.
Jean-Daniel JIMENEZ
- Fondation des services daide et de soins à domicile
- Guy Perrin, Sécurité sociale, Ed. Réalités sociales, 1993, p. 70
- Forum Santé: A propos des CASS, de laction sociale, de laide et des soins à domicile, juin 2000, p.1/10