Voyage au bout d’un 😭

Un livre dĂ©voile l’usage incontrĂŽlĂ© de matiĂšres premiĂšres et la consommation croissante d’énergie nĂ©cessaire au fonctionnement d’Internet. Le green IT, tout comme le IT for green, sont de vastes escroqueries.

Cùble internet sous-marin enroulé dans un bateau
La bobine du cùble de fibre optique transatlantique Marea sur le bateau-dérouleur. Le cùble a une longueur de 6000 km.
RUN studios

Selon certaines estimations, l’écosystĂšme numĂ©rique consomme 10 % de l’électricitĂ© mondiale. Soit le troisiĂšme consommateur planĂ©taire, derriĂšre la Chine et les États-Unis. Comme l’électricitĂ© est aujourd’hui produite Ă  35 % par du charbon, cela Ă©quivaut Ă  environ 4 % des Ă©missions de gaz Ă  effet de serre. Ce qui donne entre 15 millions et 25 millions de tonnes Ă©quivalent dioxyde de carbone (CO₂) par an, son empreinte reprĂ©sente deux fois celle transport aĂ©rien civil.

Pourquoi cette explosion Ă©nergĂ©tique ?

Le fonctionnement de ce systĂšme de communication mondial prĂ©sente une complexitĂ© mĂ©connue. Pour beaucoup d’utilisateurs de pĂ©riphĂ©riques (ordinateurs et surtout tĂ©lĂ©phones portables), cela semble trĂšs simple. Une connexion Wi-Fi vers des antennes invisibles et le tour semble jouĂ©. Les Ă©crans affichent une proximitĂ© trompeuse. Le dĂ©veloppement des technologies numĂ©riques a provoquĂ© un malentendu. La simplicitĂ© d’utilisation cache une grande complexitĂ© de fonctionnement. Non seulement les donnĂ©es voyagent sur des milliers ou des dizaines de milliers de kilomĂštres, mais elles nĂ©cessitent une infrastructure complexe pour y ĂȘtre transportĂ©es.

DerriĂšre les antennes, des millions de cĂąbles en mĂ©tal (vestiges de l’ancien rĂ©seau tĂ©lĂ©phonique fixe) et surtout des millions de cĂąbles en fibre optique transportent les donnĂ©es et les informations numĂ©riques. Cette infrastructure cĂąblĂ©e passe rĂ©guliĂšrement par des aiguillages numĂ©riques, qui trient et envoient ces donnĂ©es vers les bonnes destinations, comme sur un rĂ©seau ferroviaire. Ces aiguillages transforment aussi les signaux physiques (courant en lumiĂšre, et vice-versa), les contrĂŽlent et les codent. 

La consommation Ă©nergĂ©tique pour faire fonctionner ce rĂ©seau de transport est gigantesque, tout comme son entretien et sa surveillance. Ce n’est pas de l’énergie grise. La planĂšte n’est pas seulement parcourue par des routes maritimes ou aĂ©riennes. DĂ©sormais, les fonds des ocĂ©ans sont tapissĂ©s par de multiples cĂąbles de fibres optiques, qui assurent le transport des informations, dont la croissance est plus qu’exponentielle.

Un « cloud » d’émissions de CO₂

AprĂšs ces transits planĂ©taires, vous arrivez dans d’autres structures informatiques. Ce sont les centres de donnĂ©es, oĂč les informations sont traitĂ©es et emmagasinĂ©es. Les grandes entreprises d’internet comme les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) ont construit ces infrastructures d’abord pour leurs propres besoins de stockage. Comme l’usage de leurs applications et le nombre d’utilisateurs Ă©taient toujours croissants, cela leur a donnĂ© un avantage concurrentiel par rapport aux entreprises d’informatique historiques (IBM, Oracle) pour proposer des infrastructures de services Ă  d’autres entitĂ©s, privĂ©es ou publiques. 

Cette dĂ©localisation a produit le fameux cloud, prĂ©sentĂ© Ă  tort comme une forme « dĂ©matĂ©rialisĂ©e » de l’informatique. Rien de plus faux. Simplement les machines ne se trouvent plus sur un territoire proche, mais dans de gigantesques usines Ă©lectroniques, principalement en Asie et aux États-Unis. Ces infrastructures sont trĂšs gourmandes en Ă©lectricitĂ©, car il faut alimenter en courant des millions de puces, et les refroidir pour qu’elles continuent Ă  fonctionner en permanence. 

Le cryptage, introduit d’abord pour des motifs de sĂ©curitĂ©, a encore augmentĂ© le nombre de calculs Ă  effectuer.

Par exemple, les images d’une vidĂ©o-confĂ©rence, les vidĂ©os enregistrĂ©es, les films tĂ©lĂ©chargĂ©s sont codĂ©s et cryptĂ©s sur votre pĂ©riphĂ©rique, mais aussi sur les serveurs qui les accueillent.

La pollution carbone digitale est donc colossale, et ne se rĂ©duit pas Ă  la fabrication et Ă  l’usage des pĂ©riphĂ©riques. Son fonctionnement global consomme 10 % de l’électricitĂ© produite dans le monde, en croissance de 5 Ă  7 % par annĂ©e actuellement. L’envoi d’un simple like nĂ©cessite le dĂ©ploiement d’une des plus grandes infrastructures jamais Ă©difiĂ©e dans une sociĂ©tĂ©, comparable par sa densitĂ© au rĂ©seau routier mondial.

Finalement, dans les dĂ©bats pour rĂ©glementer l’activitĂ© des GAFAM, la question Ă©nergĂ©tique va apparaĂźtre comme de plus en plus cruciale. Ce biais semble plus pertinent que les codes dĂ©ontologiques ou les jugements moraux pour rĂ©guler les activitĂ©s des rĂ©seaux sociaux et les activitĂ©s numĂ©riques. Le recours Ă  l’e-commerce, la rĂ©alitĂ© virtuelle, les jeux en ligne, la culture du tĂ©lĂ©chargement doivent aussi ĂȘtre soumis Ă  la critique d’un point de vue Ă©nergĂ©tique. La sobriĂ©tĂ© numĂ©rique peut devenir un outil d’une perspective Ă©cosocialiste. « Le numĂ©rique tel qu’il se dĂ©ploie sous nos yeux n’est pas dans sa trĂšs grande majoritĂ© mis au service de la planĂšte et du climat. »

José Sanchez