Pour une poignée de pistes
L’organisation des JO en Chine a suscité de nombreuses réactions indignées face à l’absurdité écologique d’une telle manifestation. Mais il serait peut-être temps de se poser les bonnes questions : le ski comme divertissement de masse a-t-il une raison d’être ?
Les photos montrant des paysages arides, juste traversés de quelques filets de neige pour autant de pistes, ont à juste titre choqué. Les Jeux Olympiques (JO) en Chine n’avaient effectivement rien de verts et tout d’une absurdité écologique. Pour les beaux yeux d’un spectacle presque strictement télévisuel et les belles courbes d’une élite sportive mondiale, c’est une dépense faramineuse d’énergies et d’eau qui a été mises en place. 100 % de la neige de ces Jeux était artificielle. Notons qu’elle l’était déjà à 80 % en Russie en 2014, et à 90 % en Corée du Sud en 2018.
La localisation des sites chinois dans des lieux marqués par une forte sécheresse entraîne de plus un besoin d’eau deux à trois fois plus grand pour pouvoir enneiger que dans des conditions habituelles.
Au-delà de la neige artificielle, tout événement mondial nécessite une dépense d’énergies, la construction d’infrastructures souvent éphémères et un déplacement de personnes totalement incompatibles avec l’urgence climatique. Et pourtant la ritournelle des événements catastrophiques suit son cours comme si de rien n’était.
Consommation sacrée
Si les critiques sont connues et de plus en plus partagées, comment comprendre la persistance de tels événements écocidaires ? Ils s’inscrivent en fait dans un contexte général qui légitime de telles pratiques : ce qui choque en Chine persiste en partie en Europe et en Suisse sans remise en question.
Si on s’arrête sur la question de la neige artificielle, la France utilise chaque hiver 150 fois plus d’eau que ce qui a été utilisé en Chine. En Suisse, les canons à neige ont connu une expansion rapide pour faire face au réchauffement climatique. Ce sont désormais 53 % des domaines skiables qui sont recouverts de neige artificielle. Cela ne concernait que 1 % de la surface totale des pistes en 1990, 7 % en 2000.
Le constat semble facile à établir : le réchauffement climatique provoque une raréfaction et une élévation de l’altitude moyenne des chutes de neige. Ceci remet en cause l’existence de stations de ski de moyenne altitude. Mais au lieu de prendre en compte ce changement, le secteur investit sans compter pour sauver ses affaires. Ces dépenses énergétiques vont en retour aggraver encore le réchauffement et ses conséquences.
Cette pratique absurde d’un point de vue écologique est par contre parfaitement logique d’un point de vue capitaliste. Le tourisme du ski représente un secteur lucratif et dont dépendent de nombreuses personnes et commerces. La branche a réalisé un chiffre d’affaires total de 1,3 milliard de francs en 2019–20. Cette manne financière du divertissement en montagne, c’est également l’objectif principal de la Chine. Désormais peu intéressé par les enjeux diplomatiques, le pays cherchait à travers les derniers JO avant tout à développer ce secteur déjà en plein essor, qui pourrait à terme faire de la Chine le pays comptant le plus grand nombre de personnes pratiquant du ski au monde.
Climat factice
Pratiquer le ski en 2022 aux fêtes de Noël ou à moyenne altitude, c’est en fait comme manger des fraises en février. Le cas du ski relève de plus une dimension symbolique, par le rôle que joue ce sport dans l’imaginaire national. Pourtant il reste réservé à une élite, par les frais qu’il implique. L’étude Sport Suisse 2020 montre que la pratique de ce sport dépend directement du revenu. Dans les régions de plaine, plus de la moitié des revenus mensuels de 9000 francs ou plus font du ski, quand seul 16,8 % des revenus de moins de 5000 francs le peuvent.
Dans le même temps, le ski reste un passage obligatoire pour de nombreuses personnes au-delà des cercles aisés. Institué d’abord comme un soutien au ski militaire puis pour remplir des objectifs d’édification moraux et patriotiques, les camps de ski font partie des habitudes helvétiques. Même si aucune loi ne l’oblige, le ski reste quasiment l’unique activité proposée lors des semaines sportives de l’école obligatoire. La Confédération verse même chaque année cent millions pour favoriser l’organisation les camps de ski, via la plate-forme en faveur des sports d’hiver Gosnow.ch.
L’urgence climatique nous oblige à remettre en cause ces habitudes. Non, il n’est plus possible de maintenir le ski la tête hors de l’eau à coup de canons à neige. Pour changer les mentalités, l’école devrait promouvoir de nouvelles formes de camps, par exemple de sensibilisation à la biodiversité ou de pratique de sports davantage respectueux de l’environnement. Puis rendre à la nature ces grands espaces que nous n’irons plus coloniser.
Pierre Raboud