Mother’s Little Helper

« Kids are different today, I hear every mother say, Mother needs something today to calm her down.  And though she’s not really ill, there’s a little yellow pill. »

Il y a plus de 50 ans, les Rolling Stones chantaient déjà le danger de l’addiction aux antidouleurs et anxiolytiques. Si Mick Jagger n’était pas lui-même un exemple en la matière, la problématique soulevée reste plus que jamais d’actualité. 

Die-in pour protester contre Purdue Pharma
Die-in au musée Sackler de Harvard en 2018 pour protester contre les dons importants à plusieurs musées étasuniens (et anglais) de la famille Sackler, propriétaire de Purdue Pharma, fabricant de l’un de principaux antalgiques de la famille des opioïdes, l’OxyContin.

Aux USA, la crise des opioïdes fait des ravages. En 2018, 67 637 personnes sont décédées d’overdose dans le pays. Cette épidémie d’overdoses frappe vite et fort, le nombre de victimes dépasse déjà les taux les plus extrêmes observés lors de l’épidémie de VIH. Fait encore plus effrayant que ces chiffres colossaux, les substances responsables ont été en grande partie manufacturées, distribuées, prescrites et vendues légalement. 

Du médicament à la drogue 

Les opioïdes regroupent différentes molécules naturelles et synthétiques qui ont pour caractéristique d’activer spécifiquement certains récepteurs dans notre corps. Ces récepteurs, lorsqu’ils sont activés, entraînent un effet analgésique puissant ainsi que des effets psychotropes. Ces propriétés expliquent l’utilisation de ces molécules tant dans un contexte médical que dans un contexte récréatif. 

Néanmoins, les opioïdes créent rapidement une addiction et ont été, pour cette raison, prescrits avec parcimonie par la communauté médicale. Ces précautions ont cependant été renversées durant les années 2010, aux États-Unis, sous l’influence de l’industrie pharmaceutique. Ces entreprises ont, entre autres, fourni sans aucune limite leurs opioïdes de synthèse aux pharmacies du pays, même lorsque ces dernières étaient soupçonnées d’activités illicites. 

L’industrie pharmaceutique étasunienne a ainsi encouragé la prescription abusive d’anti-­douleurs addictifs. Le schéma typique au centre de ces overdoses est simple : les patient·e·s reçoivent, via une prescription inadéquate, une quantité de médicaments suffisante pour développer une addiction ; une fois arrivé·e·s au terme de cette dernière, les patient·e·s déjà dépendant·e·s de la substance se voient contraint·e·s soit de renouveler leur prescription, chose qui ne peut durer indéfiniment, soit de passer au marché noir échappant dans ce deuxième cas à toute surveillance médicale. 

Les substances alors consommées entraînent un danger d’overdose bien plus important. Les narco-trafiquants ne sont pas soumis aux mêmes régulations que l’industrie pharmaceutique et deux pilules d’apparence similaire peuvent contenir une quantité de principe actif radicalement différente. Les usagers·ères sont donc particulièrement à risque d’overdose puisque la même quantité, en apparence du moins, de drogue peut d’un jour à l’autre changer de concentration et provoquer la mort. 

L’industrie pharmaceutique au centre de la crise 

Afin d’encourager la consommation de leurs médicaments addictifs, certaines compagnies pharmaceutiques ont recouru à des campagnes publicitaires agressives qui vantaient les bienfaits des traitements et minimisaient les risques. Plusieurs de ces entreprises ont été par la suite amenées devant la justice et condamnées à payer pour leur implication dans le façonnage de cette crise. 

McKesson, un géant de la pharma américaine, a par exemple dû verser 150 millions de dollars au département de la justice étasunien. Si cette somme semble colossale, elle est à remettre à l’échelle de ces géants de la santé. L’entreprise McKesson avait, par exemple, prévu de verser 159 millions de dollars de parachute doré à son ancien CEO en 2013. L’entreprise engrangeait de même pas moins de 214,3 milliards de revenus en 2019. Tant que les sentences appliquées resteront aussi insignifiantes ces dernières continueront leurs pratiques frauduleuses, profitant d’un système laxiste les forçant à verser de temps à autre l’équivalent d’une retraite de cadre. 

Les leçons à tirer de la crise étasunienne 

Si la crise des opioïdes sert aujourd’hui de rappel aux dangers de ces substances, la conclusion principale à tirer de cette tragédie manque à l’appel. Des excuses publiques, des amendes puis on reprend les affaires sans remise en question. La faute est mise sur le dos de quelques individu·e·s particulièrement véreux·euses qui auraient agi de leur propre chef. 

Pourtant la cyclicité des scandales sanitaires devrait mettre la puce à l’oreille : ces crises ne sont pas des cas isolés et ont toujours comme origine la recherche du gain. Ces dernières sont symptomatiques du système économique actuel au sein duquel les entreprises se battent pour obtenir toujours plus de parts de marché et sont prêtes à tout pour atteindre ce but. 

Ces centaines de milliers de mort·e·s ne sont qu’une funeste preuve de plus du dysfonctionnement inhérent au capitalisme. Le refus de lever les brevets concernant la fabrication de vaccins durant la crise du Covid nous l’a encore récemment rappelé : dans la course au profit l’humain passe au second plan. 

De nouveaux scandales émergeront régulièrement dans le futur et ce n’est pas la proportion gargantuesque qu’a pris la crise des opioïdes (et celle du Covid) qui changera le fonctionnement de l’industrie pharmaceutique. 

Clément Bindschaedler