Le non-scandale de Novartis en Grèce
En Grèce, les actes avérés de corruption de la part de Novartis restent sous silence, tandis que ceux et celles qui ont dénoncés les faits subissent pression judiciaire et médiatique.
La poursuite judiciaire de deux journalistes d’investigation, K. Vaxevanis et Y. Papadatou, pour « participation à une organisation criminelle », à la suite de leur enquête sur le scandale Novartis a été suivi, deux jours après, par la poursuite, avec la même accusation, de l’ex-procureure en chef anti-corruption, E. Touloupaki.
Traînée dans la boue par les médias aux ordres, elle s’était déjà vue ôter le dossier de l’affaire, dès le retour de la droite au gouvernement en 2019, qui supprimait son poste. Ces mises en accusation viennent s’ajouter à la poursuite pour « complot » d’un ex-ministre de SYRIZA, D. Papangelopoulos, pour avoir soutenu que le scandale Novartis constituait « un de plus grands scandales » de l’histoire.
Dans le même temps, le dossier de deux hommes politiques importants soupçonnés de corruption dans cette affaire a été classé, au motif que les sommes qu’ils avaient touchées ne venaient « pas directement » des comptes de Novartis mais étaient « d’origine indéterminée ». Innocentés par ce refus de chercher d’où provenaient les centaines de milliers d’euros déposés en cash sur leurs comptes de 2007 à (au moins ?) 2018, ces hommes représentent des symboles politiques forts, l’un en tant qu’ex-commissaire de l’UE, D. Avramopoulos, de droite, et l’autre, A. Georgiadis, vice-président de Nouvelle Démocratie actuellement au pouvoir, provenant de l’extrême droite fascisante.
Corruption reconnue
Côté Novartis, l’affaire est pourtant limpide : la Grèce étant un des pays de référence pour la fixation du prix des médicaments, les prix grecs influencent les dépenses de santé de 28 autres pays, dont les États-Unis, la France… En 2015, les autorités étasuniennes (SEC, FBI, Départment de Justice – District of New Jersey) s’étaient intéressées au cas Novartis, trouvant des « témoins protégés » de l’intérieur de sa filiale grecque.
En appliquant leur procédure anti-fraude, elles ont conclu, en juin 2020, un accord avec la multinationale qui a reconnu les méfaits et accepté de payer des centaines de millions de dollars aux États-Unis pour ne pas être poursuivie en justice. Sur la base de cet accord, d’autres pays, dont la France et l’Italie, ont aussi réussi à se faire payer des millions d’euros en dédommagements… mais pas la Grèce.
La corruption reconnue comporte plusieurs aspects : distribution depuis le début des années 2000 de divers cadeaux (sommes d’argent mais aussi voyages, etc.) à des médecins en Grèce (pas moins de 4500) pour faire prescrire ses médicaments (dont Lucentis), mais aussi pour influencer des « études épidémiologiques » (2009-2010) ou soutenir les ventes de ses vaccins antigrippaux en 2010. Mais de plus, il s’agissait surtout de faire monter ses prix en Grèce et notamment dans la période 2011-2014, en pleine attaque austéritaire imposé aux pays. L’argent dégagé par l’austérité doit forcément se diriger quelque part.
Blanchissement à large échelle
La distribution de pots de vin ayant bien été reconnue par la multinationale et identifiée par les autorités étasuniennes, celles-ci avaient déjà envoyé aux autorités grecques une liste d’une dizaine de politiciens soupçonnés, dont deux premiers ministres, huit ministres, un commissaire européen et le directeur actuel la banque centrale ! L’argument aujourd’hui avancé (avec l’aide de la multinationale) serait que les versements auraient été soi-disant effectués à des fonctionnaires (pas forcément des « politiciens »).
Cet argument ne tient pas car la fixation du prix des médicaments requiert l’aval écrit gouvernemental. Et comme la conclusion d’un accord entre Novartis et les États-Unis supposait la clôture de l’enquête étasunienne, l’actuel gouvernement grec a tout fait ensuite pour étouffer les procédures judiciaires en Grèce. Il reste encore un ex-ministre de la santé, A. Lomverdos (PASOK), dont le processus de blanchissement n’a pas encore complètement abouti.
Tout ce beau monde venant en fait de toutes les fractions du personnel politique grec traditionnel (sociaux-démocrates, droite, extrême-droite), il ne relève pas d’un monde passéiste. Car non seulement c’est lui qui applique la politique libérale européenne mais aussi parce qu’il en a fait ses preuves à l’époque de sa collaboration étroite avec la troïka (FMI, UE, BCE).
Cette affaire ne saurait donc être réduite à une forme de bakchich oriental d’une période révolue : il s’agit bien de la façon très moderne dont le grand capital pharmaceutique s’immisce dans la politique. Comme le dit le gouvernement grec, aucun scandale dans tout cela : à l’inverse, c’est en parler qui en deviendrait un.
Tassos Anastassiadis