Renverser le capitalisme par le big data

Lorsqu’on entend parler de révolution au sein de la gauche radicale, tout un imaginaire de possibilités s’active mais une constante semble rester : faire table rase du système actuel. Le postulat de Cédric Durand, professeur d’économie politique à l’Université de Genève, est pourtant tout autre. 

Carte d'internet
La carte d’Internet en 2010

La planification économique proposée par Cédric Durand part d’un constat simple : nous vivons actuellement dans un système capitaliste et le dépassement de ce dernier devra se faire sur ses propres bases. Ces dernières représentent aujourd’hui des clés de pivot du système économique : les GAFAM (Google, Apple, Facebook Amazon et Microsoft). C’est à travers ce que Marx désignait comme la socialisation que ces entreprises sont devenues gigantesques. Cette notion décrit la tendance historique à l’accumulation et à la monopolisation de pans de plus en plus larges de l’économie.

Les entreprises suffisamment puissantes absorbent les plus faibles ou se font absorber par une concurrence encore plus forte. À force de développement d’une ou de quelques entreprises, chaque secteur de l’économie se trouve en situation de monopole ou d’oligopole. Ce mécanisme s’est par ailleurs drastiquement accéléré avec l’apparition des technologies de l’information. Aujourd’hui, les GAFAM constituent des oligopoles colossaux et sont devenus largement indispensables aux citoyens et citoyennes vivant au sein du système.

Une résistance commune 

Si la situation de départ semble bien morne, on est en droit, et à juste titre, d’espérer un changement paradigmatique. Cet espoir se situe, pour Cédric Durand, dans la résistance individuelle et fondamentale au système. Aujourd’hui le big data permet aux entreprises de connaître intimement ses usage·ère·s, de mettre à jour leur désir de consommation et de proposer des offres toujours plus ciblées. 

Néanmoins, les tentatives d’uniformisation de l’offre, proposant une seule gamme de produits ultra ciblés, ne fonctionnent pas. Les consommateurs·trices préfèrent garder la possibilité d’acheter divers produits, voir le mauvais produit. Il est dit que les algorithmes nous comprennent mieux que nous-mêmes, pourtant on préfère avoir le choix au risque de se tromper. « Agir c’est donner sens à son existence, fusse dans la consommation » ; pour Cédric Durand c’est cette résistance commune à tout·e·x·s qui ouvre la voie à un changement sociétal.

L’échec de la planification au 20e siècle et ses nouvelles forces

L’échec des tentatives de planification au 20e siècle trouve son origine dans le triomphe idéologique de l’économiste libéral Friedrich Hayek. Ce dernier arguait à son époque que seul le marché était capable de rendre compte du comportement individuel. Les informations de consommation individuelles, difficilement palpables, sont, de plus, décentralisées. Essayer de les réunir afin de planifier l’économie comme ce fut le cas en URSS est au mieux inefficace, au pire impossible. 

Néanmoins ces limitations, bien réelles durant le 20e siècle, sont aujourd’hui largement dépassées par la puissance de traitement de l’information et par sa centralisation dans quelques entreprises. Ce que seul le marché réussissait en termes d’interprétation des comportements individuels de consommation est aujourd’hui facilement analysable par les algorithmes de l’information. 

Exploiter la faille 

Le dépassement du capitalisme doit passer par l’exploitation de la résistance fondamentale de chaque individu à la tendance de la socialisation. La première étape consiste en une prise de conscience de la socialisation et de l’interdépendance dans laquelle nous vivons. Une fois conscientisé·e·s, les individus doivent pouvoir participer à la division du travail et y trouver du sens. Finalement, la gestion de la division du travail doit se faire sur la base de décisions communes en la retirant de l’ingérence actuelle du marché. 

L’utilisation des algorithmes permettrait alors de diriger finement la production, en se basant sur les informations générées par les individus au quotidien. Concrètement, la planification doit passer par le débat et la décision communes de prioriser certains grands axes de développement. 

Cédric Durand insiste sur un autre point fondamental selon lui : l’expérimentation. Une fois les objectifs de production définis, une pluralité de mises en pratique locales doivent pouvoir se manifester. Bien loin de représenter une utopie, ce genre de mesures économiques ont aujourd’hui une portée politique. Cédric Durant dit lui-même qu’à quelques changements près, ces revendications pour un système économique planifié sont celles de la France Insoumise. Ceci prouve bien qu’une part de la population s’ouvre à des modèles alternatifs au capitalisme et laisse espérer que ces rêves de changement deviendront bientôt réalité.

Clément Bindschaedler
Basé sur les propos développés par Cédric Durand lors de la conférence Autogestion et planification écologique donnée le 24 mars.