France

À gauche, du nouveau?

La France a rejoué le scénario de 2017, avec une victoire confortable du président sortant Emmanuel Macron. Le pire, l’élection de Marine Le Pen, n’est pas advenu. Et les résultats du premier tour permettent de nourrir quelques espoirs de reconstruction à gauche.

Emmanuel Macron
Discours de victoire, Paris, 24 avril 2022

58%. C’est 8 % de moins qu’en 2017. Avec une abstention record (28 %), le moins qu’on puisse dire est que la victoire de Macron, avec le deuxième plus faible pourcentage d’inscrits de la Ve République, n’a rien de glorieux. Dans le même temps, l’extrême droite raciste a réuni plus de 13 millions de voix. L’idée qu’elle puisse accéder au pouvoir se banalise, avec la bénédiction des médias – et de la bourgeoisie, ravie d’ériger son candidat en pompier d’un incendie qu’il ne cesse d’entretenir.

L’essentiel s’est joué le 10 avril, lorsqu’un peu plus de 400 000 voix (0,8 % du corps électoral) ont manqué à Jean-Luc Mélenchon pour doubler Marine Le Pen et rallier le second tour. Malgré une belle progression par rapport à il y a cinq ans, le candidat de la France insoumise (LFI) n’a pu empêcher un remake de 2017. Il a fallu encore une fois « choisir » entre l’extrême droite et Macron.

Lors du précédent scrutin, celui-­ci avait la partie facile. Ancien ministre de François Hollande, opposé au premier tour à un « vrai » candidat de droite (François Fillon), il pouvait se poser en rassembleur, au centre d’un échiquier politique français en recomposition. Et l’électorat de gauche pouvait, sans (trop) hésiter, opter pour le moindre mal au second tour.

Pire que Macron

Rien de tel en 2022. Destruction de l’éducation et de la santé publiques, guerre contre les pauvres et les précaires, politique sécuritaire, raciste et anti-immigration, restriction des libertés… Macron a appliqué les recettes héritées du thatchérisme plus vite et plus fort que ses prédécesseurs. Dans l’un des pays d’Europe où l’État-providence avait le moins mal résisté aux assauts du néolibéralisme, il a mené une offensive dont Chirac ou Sarkozy n’auraient pas osé rêver.

De fait, le président sortant a mobilisé à droite au premier tour. Il a cédé du terrain à Mélenchon dans les grandes villes mais a progressé dans les quartiers riches et chez les retraité·e·s (43 % de son électorat !). La déroute de Valérie Pécresse confirme que la politique du dernier quinquennat a convaincu le bloc bourgeois.

De quoi nourrir les doutes d’un électorat de gauche se demandant s’il est possible de faire pire. Au point qu’on a vu émerger dans les rangs de la gauche, entre le 10 et le 24 avril, des appels à l’abstention, au vote blanc… voire au vote Le Pen.

Or il est évidemment possible de faire pire. Au-delà des conséquences symboliques qu’aurait eues son élection, Le Pen défend un programme d’une violence inouïe : présomption de légitime défense des policiers, restrictions du droit d’asile, assaut contre les droits des minorités sexuelles, accélération de l’offensive antimusulmane, mise au pas idéologique de l’éducation, restrictions des libertés syndicales, baisse des cotisations sociales… l’arrivée de Le Pen au pouvoir aurait garanti des régressions autrement graves que celles promises par le quinquennat à venir.

Vivement le troisième tour ?

Dans ce contexte, une pâle éclaircie vient de la reconfiguration de la gauche. Certes les candidatures d’extrême-droite ont réuni trois millions de voix supplémentaires, certes l’abstention a grimpé de 3,6 %, mais Mélenchon a gagné 1,5 million de suffrages par rapport à 2017. Et le candidat de LFI s’est imposé dans les quartiers populaires des grandes villes : il y a convaincu des populations issues de l’immigration, touchées par un chômage endémique, stigmatisées par l’essentiel du personnel politique et acquises depuis longtemps à l’abstention.

Aux législatives de juin, un nouveau raz-de-marée de la majorité présidentielle est possible. Mais LFI a eu l’intelligence de tendre la main au NPA et, en dépit de sa campagne aux relents staliniens, au Parti communiste. Avec le ralliement probable des Verts, un bloc de gauche uni, offrant un début d’alternative au consensus néo­libéral, a des chances de progresser à l’Assemblée nationale. À condition de maintenir la mobilisation des classes populaires et de consolider le bloc de gauche qui a émergé au premier tour.

Même si, faut-il le rappeler, le programme de LFI vise à revenir sur les pires régressions sociales des dernières décennies et n’a rien de révolutionnaire. Seule la droitisation du paysage politique explique que les médias dominants aient classé à l’extrême-gauche un mouvement dont l’idéologie évoque la gauche de gouvernement de la fin du 20e siècle. Et qui, du capitalisme, ne critique que les pires excès.

Il ne faut pas trop attendre des hypothétiques succès électoraux d’une gauche soucieuse d’un peu mieux répartir les fruits de la croissance et de ne pas tout à fait ignorer l’urgence climatique. Tout au plus peut-on espérer que sa visibilité redonne du souffle et de la légitimité aux forces anticapitalistes. Sans un mouvement social d’ampleur, les cinq ans à venir vont sembler interminables.

Guy Rouge