États-Unis

Ne dites pas «Gay»

Une nouvelle loi foncièrement homophobe et transphobe a été acceptée dans les écoles de Floride. Que faire de ce retour en force des conservateurs sur des questions que l’on pensait largement dépassées ?

Manifestante contre la loi "Don't say gay"
«Cette loi va tuer des enfants». Pride 2022 à Tampa, Floride

Le 14 octobre 1977, Anita Bryant, ancienne Miss Oklahoma et chanteuse, était invitée à Des Moines pour parler de son sujet de prédilection : la prétendue destruction de la société par les homosexuels. Comme elle l’a dit : « ce que ces [homosexuels] veulent vraiment, caché derrière d’obscures phrases légales, c’est le droit de montrer à nos enfants qu’un mode de vie tel que le leur est une alternative acceptable, je mènerai une croisade telle que ce pays n’en a jamais vue pour stopper cela ». Mais ce n’est pas un tonnerre d’applaudissements qu’elle reçoit ce jour-là. Un activiste gay lui envoie une tarte en plein visage et elle fond en larmes, sans savoir encore qu’un an plus tard sa « carrière » serait pour ainsi dire terminée dans une obscurité médiatique totale de laquelle elle n’est toujours pas sortie.

Cibles et discours similaires

Si Anita Bryant n’est pas revenue sur le devant de la scène depuis, ses idées en revanche ont repris du poil de la bête. Acceptée début avril 2022, HB 322 est une loi de l’État de Floride qui interdit aux écoles pour enfants de moins de 12 ans de discuter d’orientation sexuelle et d’identité de genre. 

La loi, intentionnellement vague, pourrait interdire même aux professeur·e·s de mentionner qu’un·e enfant est issu·e d’une famille homo­parentale ou de répondre à de simples questions sur le sujet. Malgré une énorme mobilisation face à cette loi surnommée « Don’t Say Gay » (« Ne dites pas gay »), cela n’a pas été suffisant pour l’empêcher d’être adoptée. 

Mais la Floride n’est que la pointe de l’iceberg : au moins vingt États étasuniens ont approuvé ou sont en train d’étudier des législatures similaires. Comment expliquer le renouveau des législations anti-LGBTQIA+ dans un pays soi-disant acceptant ? Un terreau fertile et une cible redéfinie.

« Grooming »

Les arguments ne sont pas nouveaux : la secrétaire de presse du gouverneur de Floride avance sur Twitter que la loi appelée Don’t Say Gay par les libéraux serait en fait une loi « anti-grooming ». Le grooming décrit les actions d’adultes pour rendre vulnérables des enfants à des abus sexuels. C’est un terme fort qui rappelle l’homophobie classique des soi-disant « gays pédophiles » qui chercheraient à convertir des jeunes. 

Ainsi les républicains reprennent un argumentaire que l’on pensait à moitié enterré depuis les années 90 mais qui a bien son utilité : si une opposition est faite à la loi, on peut fallacieusement accuser la personne de vouloir parler de sexe à des enfants pour des motifs néfarieux. 

Mais la question du grooming n’est pas réapparue par hasard. Le populisme de Donald Trump – qui a emballé les théories conspirationnistes avec par exemple QAnon – a permis de relancer de nouvelles paniques autour de la sexualité. Dans les franges les plus extrêmes de l’extrême-droite, on croit à de supposées cabales de haut·e·s dirigeant·e·s démocrates qui formeraient des sectes sexuelles où des enfants seraient violés. 

De base antisémite, le conspirationnisme a été utilisé par la droite dure étasunienne pour courter son électorat le plus extrême. En effet, de nombreux·se·s politicien·ne·s étasunien·e·s ont intégré des références à QAnon dans leurs discours, et certains éléments de langage comme le grooming sont couramment utilisés sur Fox News et par les Républicain·e·s.

Ces nouvelles paniques sexuelles permettent donc de justifier les lois les plus réactionnaires. Comme l’écrit le magazine VOX : « De plus en plus, les conservateurs semblent aussi utiliser le terme grooming pour signifier de manière générale une indoctrination par la gauche [des enfants]. Cette idée suggère qu’éduquer les enfants sur certains sujets politiques comme la lutte pour l’égalité gay et trans […] est autant dangereux, ou même similaire, que leur grooming en tant que victimes de pédophiles ou de victimes d’une secte sexuelle internationale.»

Le spectre de la transphobie

Pendant un certain temps, les sujets gays n’étaient plus une cible privilégiée des milieux de droite à cause des attitudes changeantes et de l’acceptation du mariage pour tou·te·s. Néanmoins les réactionnaires ont toujours besoin de nourrir des paniques morales autour de la sexualité, c’est une caution pour signifier la dégénérescence supposée de notre société et affirmer un retour à des valeurs traditionnelles. La cible s’est donc portée sur les personnes trans et ce sont des pans politiques entiers qui ont soit directement attaqué les personnes trans, soit ont fait le jeu de la transphobie en laissant des opinions mortifères proliférer jusqu’à nos milieux. 

La transphobie se nourrit pourtant du même système que l’homophobie et si elle n’est pas combattue, c’est l’entier des personnes LGBTQIA+ qui finit par être attaqué. Des tartes se perdent.

Seb Zürcher