Noces de l’atome et du capital
L’énergie du désespoir
Alors que bon nombre de commentaires autorisés œuvrent à bâtir un nouveau consensus autour des centrales atomiques, il convient de montrer en quoi la revendication antinucléaire s’inscrit pleinement dans l’idéal écosocialiste.
C’est un sentiment sans doute identique à celui du protagoniste du classique hollywoodien Un jour sans fin (1993) qui paraît devoir s’emparer la population helvétiques attentive aux débats politiques ayant trait au problème de l’énergie nucléaire. Tout laissait pourtant à penser que ce chapitre des réflexions sur le système énergétique suisse était définitivement clos. En effet, à la suite l’accident de Fukushima Daiichi en 2011, le Conseil fédéral avait annoncé sa volonté de se départir pleinement de tout recours au nucléaire à l’horizon 2034.
Tant qu’elles sont sûres…
Dans cette optique, une révision complète de la Loi sur l’énergie avait été approuvée, tout d’abord par le Parlement, puis par référendum – en dépit de l’opposition de l’Union démocratique du centre (UDC) – en 2017. Inscrite dans le cadre de la Stratégie énergétique 2050, la Loi contenait notamment l’interdiction de la construction de nouvelles centrales. Toutefois, les dispositions entourant la mise à l’arrêt des activités des centrales actuellement en fonctionnement sont des plus floues – les documents officiels se bornant à indiquer que l’exploitation des installations se poursuivront « tant qu[e] [celles-ci] sont sûres » (Fiche d’information « Sortie du nucléaire », 20 mars 2017).
Or, cette close comporte une dimension discrétionnaire. Comme récemment mentionné dans ces colonnes, la durée de viabilité des centrales nucléaires est sans cesse réévaluée à la hausse (« Augmenter aussi l’âge de la retraite des centrales atomiques ? », solidaritéS nº 405). Ainsi donc, les critères décidant de la suspension des activités d’une centrale dépendent tout autant de paramètres strictement techniques que du rapport de force politique. De ce fait, il incombe au camp social et écologique de bien prendre conscience de la nature des ambitions atomiques qu’une fraction des classes dominantes laisse de plus en plus explicitement transparaître.
Considérons à ce titre comme un symptôme significatif l’adoption par le Parti libéral-radical en février 2022 d’un texte favorable à l’instauration des « conditions permettant d’autoriser notamment les centrales nucléaires de nouvelle génération », pour autant que « le besoin [soit] prouvé, la sécurité assurée en tout temps et les déchets [puissent] être éliminés ».
L’énergie comme rapport conflictuel de classe
L’affirmation d’une inéluctable augmentation de la demande en énergie sert de clé de voûte à l’argumentaire pro-nucléaire et procède de l’idéologie capitaliste. C’est que seul l’impératif de croissance infinie, idiosyncratique à la civilisation du capital, requiert une circulation à rythme soutenu d’un volume de marchandises surabondant, ce indépendamment de leur utilité sociale effective.
Une opération dont les lois de la physique commandent qu’elle s’accompagne de flux d’énergie en continuelle augmentation. Dès lors que le recours aux sources fossiles est compromis pour des raisons climatiques, il est évident que la bourgeoisie et ses intellectuel·le·s organiques voient dans les potentialités offertes par l’énergie nucléaire un substitut tout désigné. Et tant pis pour les risques immenses qu’une telle fuite en avant technoscientifique suppose : fiat energia, pereat mundus (que l’énergie triomphe, que le monde périsse) !
Tout au contraire, une structuration non capitaliste de la société ne réclame pas en toute hypothèse des niveaux de consommation énergétique équivalents à ceux qu’exige le capitalisme. Un travail de prospective a ainsi abouti à la publication en 2021 du « Scénario de transition énergétique 2050 » de négaWatt Suisse, qui montre la parfaite faisabilité, du pur point de vue physique, d’un système énergétique suisse exclusivement fondé sur les énergies renouvelables (ni hydrocarbures fossiles, ni nucléaire).
Une telle bifurcation suppose néanmoins, en sus de gains d’efficacité énergétique, la mise en place des conditions sociales et politiques d’une sobriété volontaire eu égard à la consommation et la production d’énergie. Si celle-ci n’est a priori pas incompatible avec une organisation de la société qui se fonderait sur l’objectif de satisfaction des besoins sociaux et matériels des humains, elle l’est manifestement avec l’accumulation capitaliste.
En somme, l’obsession renouvelée de tout un pan de la bourgeoisie pour le nucléaire ne trahit que trop bien sa détermination à perpétuer un système socio-économique inique. Le refus intransigeant du nucléaire apparaît alors comme l’un des multiples fronts de la lutte anticapitaliste. C’est l’un des prérequis de la construction de ce monde de justice et d’harmonie des humain·e·s entre elleux et envers leurs écosystèmes auquel aspire un socialisme authentiquement écologiste et démocratique.
Guillaume Dreyer