Inclusion et recherche médicale

De l’oubli à l’essentialisation

Cet article est basé sur l’ouvrage Inclusion – The Politics of Difference in Medical Research de Steven Epstein. L’auteur y décrit extensivement l’adoption d’un nouveau paradigme en médecine et plus précisément dans les essais cliniques, l’une des multiples étapes du développement d’un nouveau traitement.

Test génétique

Aux États-Unis, les années 1990 ont vu émerger une large vague de critiques du système de santé et des essais cliniques. Les détracteur·ice·s dénoncent le fait qu’ historiquement, les sujets de la recherche médicale n’ont été quasiment que des hommes blancs cis. Les femmes, les populations racisées, les enfants et pléthore d’autres minorités en étaient tout simplement exclues. 

L’argument des partisan·e·s pour plus d’inclusivité est simple : il existe des différences immuables entre le corps d’une femme, d’un afro-américain, d’un enfant ou de tout autre minorité et celui de l’homme blanc moyen de 35 ans pesant 70 kilos. On ne peut donc pas extrapoler de manière convaincante les résultats de ces essais cliniques à l’entier de la population.  

Minorités : sous étudiées ou cobayes ?

Si les essais cliniques des dernières décennies du 20e siècle regroupaient surtout des hommes blancs, ce n’était pas forcément le cas avant les années 1960. Les personnes dominées ont historiquement servi d’objets d’études pour les scientifiques. Ces corps oppressés et dévalorisés par le système hiérarchique social constituaient des modèles accessibles pour la recherche médicale. 

On peut citer à cet égard l’étude de Tuskegee sur la syphilis. Cette expérience cherchait à observer les effets à long terme de la syphilis sur les afro-américain·e·s. Plusieurs centaines de malades furent observés de 1932 à 1972. Si l’étude parait déjà fort peu éthique, elle prend une tournure cauchemardesque lorsqu’on rapelle le fait que la syphilis est très facilement soignable avec la pénicilline, un antibiotique largement accessible au grand public dès 1947. Cette expérience désastreuse a conduit à la mort de plus d’une centaine d’individus. On comprend bien ici que le recrutement de ces populations spécifiques ne répondait pas à une envie d’inclusivité…  

Entre universalisme et essentialisme 

Le nouveau paradigme d’inclusion répond à une logique différente. Partant du constat de différences entre certaines populations, il semble logique d’étudier chacune séparément. On note effectivement que certains traits génétiques se retrouvent plus concentrés dans certaines catégories et que ces différences peuvent avoir, par exemple, des effets concrets sur la capacité à métaboliser un médicament. Ce qui influence ainsi son efficacité et le profil d’effets secondaires. 

Néanmoins, si inclure la différence dans les essais cliniques peut sembler louable, il convient de mieux la définir. Les catégories citées jusqu’à maintenant, d’ethnie et de sexe, bien qu’apparaissant comme évidentes, sont loin de l’être en termes médicaux. Par exemple, l’ethnie peut varier durant la vie d’un individu. Une personne peut se voir attribuer une catégorie différente à sa naissance, durant sa vie et à sa mort puisque le choix de placer tel individu dans tel groupe est structuré par le contexte socio-historique. 

Un autre problème découle des statistiques. Le hasard a tendance à créer des résultats significatifs là où ils n’existent pas. Multiplier les tests statistiques en recoupant les individus par catégorie va exacerber cet effet et créer des différences plus statistiques que biologiques. En cherchant, on trouve. De même, cette catégorisation qui prétend mieux représenter les individus dans leur spécificité tend, ironiquement, à homogénéiser chaque groupe. 

Biologiser les déterminants sociaux de la santé 

En érigeant des catégories de santé, l’approche de l’inclusion par groupe tend à biologiser toutes les différences observées, même si celles-ci n’ont aucune base biologique. Par exemple, le taux plus important d’hypertension chez les afros-américain·e·s comparé au reste de la population étasunienne pourrait être la conséquence de différences génétiques mais peut également être interprété comme le résultat de leur situation souvent précaire. La junk food et le stress causé par le racisme systémique pourraient contribuer plus fortement à une augmentation de la tension artérielle que certains traits génétiques. 

Bien que ces exemples soient hypothétiques, ils illustrent bien comment les déterminants sociaux de la santé peuvent prédominer sur les déterminants biologiques. 

Cette approche n’est pas fondamentalement erronée. Il convient d’entretenir un rapport critique à l’utilisation des catégories et des conditions socio-historiques de leur production. Comprendre les causes réelles de disparités et différences en santé nécessite une recherche approfondie de multiples facteurs. Résoudre ces problèmes ne peut se limiter à une simple attribution de profils médicaux à des catégories sociales. 

Clément Bindschaedler