État espagnol

L’hypothèse d’un bloc de gauche indépendant

Lors des récentes élections régionales en Andalousie, le Partido Popular (droite) a obtenu la majorité absolue du Parlement (58 élu·e·s sur 109). Entretien avec Pablo P. Ganfornina, militant de Anticapitalistas Andalucía.

Teresa Rodriguez de Adelante Andalucia
La figure de proue d’Adelante Andalucía Teresa Rodríguez en campagne, juin 2022.

Dans quel contexte se sont déroulées ces élections ?

Nous pouvons définir au moins 3 facteurs : la profonde crise économique et sociale d’après la pandémie, la politique insuffisante du « gouvernement de gauche » à l’échelle nationale, la bataille continue menée par la droite durant les 10 dernières années pour l’hégémonie.

En ce sens, la droite avait déjà gagné politiquement les élections avant que celles-ci n’aient lieu. Nous savions depuis des mois ce qui allait arriver, il n’y a pas de quoi paniquer. Maintenant, il faut analyser les résultats. Pour moi, il n’y a pas de victoire électorale sans victoire politique préalable. Les campagnes électorales jouent un rôle, mais elles donnent ce qu’elles peuvent. Et il est important maintenant de débattre du positionnement de la gauche andalouse face à ce nouveau scénario, si elle veut survivre et gagner une importance politique et sociale.

Quel bilan dresses-tu des résultats ?

Les résultats sont mauvais, mais ils reflètent l’hégémonie des idées conservatrices dans la société andalouse et l’absence d’un projet majoritaire de gauche capable de mobiliser et de faire prendre une autre direction. Il y a un changement de cycle et la gauche vit toutefois la défaite politique du cycle antérieur. Il faut penser à moyen et long terme et se fixer des objectifs concrets. 

En ce sens, l’émergence d’Adelante Andalucia est une bonne chose dans un mauvais contexte, car elle a ouvert la voie, avec beaucoup d’efforts, envers et contre tout, à une option nettement de gauche, écologiste, féministe et andalousiste (pas nationaliste, mais souverainiste). Au moins, nous ne revenons pas à 2011. Il y a une vie en dehors du Parti communiste et une gauche au-­delà de la gestion du possible. C’est un fait important.

Quels sont les défis et les tâches de Adelante Andalucia ?

Adelante Andalucia s’est révélé comme une vérité incommode pour la gauche et pour le régime de 1978. Maintenant, la gauche andalouse débat deux hypothèses stratégiques : le bloc avec le PSOE (hypothèse Podemos/Izquierda Unida/Yolanda Díaz) et le bloc indépendant avec l’Andalousie comme sujet politique. C’est l’hypothèse d’Adelante Andalucia. 

Le seuil électoral n’est garanti à personne, encore moins à un nouvel espace politique. Cela dit, l’aspect important sera l’envergure de l’hypothèse politique, pas seulement son expression électorale. Nous continuons à penser que l’hypothèse d’Adelante Andalucia est une hypothèse stratégique plus forte. Nous avons commencé à le voir dans cette campagne. Le premier défi, c’est de maintenir la ligne.

En ce sens, dans un moment de montée de l’extrême-droite et un tournant conservateur de la société, une gauche forte ne peut se constituer sans faire face aux partis de droite, en démontant leur discours et leur programme. 

Une gauche forte ne peut pas se mobiliser à partir de la peur de l’autre comme base fondamentale. Le PSOE peut le faire, à moitié, mais une gauche forte non. La force de la gauche passe par un projet politique propre, et pas un projet politique subordonné à un autre. Une gauche forte ne peut pas défendre davantage que le PSOE le gouvernement central (une coalition PSOE-UP) et regarder de l’autre côté comme si la classe ouvrière ne vivait pas une réalité où les politiques de La Moncloa se sont révélées totalement insuffisantes.

Raison pour laquelle les 167 970 suffrages et les deux députées de Adelante Andalucia ne sont pas une finalité, ni un but en soi, mais un nouveau départ. Un chemin sans complexes qui recommence pour la gauche alternative. Adelante Andalucia est un outil, pas le seul.

Le second défi sera l’implantation de l’organisation sur le territoire. C’est la tâche fondamentale : construire l’organisation. Pour le mesurer, il y aura une preuve lors des prochaines élections municipales de 2023. Il ne faut pas se précipiter. Il ne faut pas présenter des candidatures partout. L’important, c’est de bien construire par en bas, construire les mouvements sociaux, faire de l’agitation dans la rue. C’est pourquoi il serait très bien d’ouvrir les portes aux nombreux·ses militante·s rentré·e·s à la maison après les déceptions de Podemos et d’éviter les pires egos et ambitions. Une stratégie claire, un programme radical et mener la bataille.

Autre thème central qu’Adelante Andalucia ne pourra éluder : réduire le rôle de ma camarade et amie Teresa Rodríguez. Ce sera bon pour elle et pour le projet lui-même, bien qu’au début ce sera difficile. Maintenant, il faut lui donner un autre rôle.

Enfin, il faut éviter de tomber dans une dynamique d’auto-­référence et ses dérivés. Il n’existe pas de manuel de recettes. Nous pouvons et nous devons regarder d’autres expériences dans notre environnement. À mon avis, AdelanteAndalucia pourrait reprendre des leçons et des méthodes du Bloco de Esquerda (Portugal) et de la Candidatura d’Unitat popular (Catalogne). Le manque de références continue à peser sur la gauche, prenons au moins le mieux des expériences sœurs.

Propos recueillis par Juan Tortosa
Traduit du castillan par Hans-Peter Renk