Un backlash contre les mouvements féministes?

L’issue du procès surmédiatisé entre Amber Heard et Johnny Depp est-elle le symbole d’un début de backlash contre les mouvement féministes et la vague #MeToo ?

Des manifestantes anti-avortement
Manifestant·e·s anti-avortement devant la Cour suprême, Washington, 24 juin 2022

Le 1er juin dernier, l’actrice Amber Heard est reconnue coupable de « diffamation avec réelle malveillance » dans le cadre du procès qui l’oppose à Johnny Depp pour des faits de violences conjugales remontant au temps de leur mariage. Durant toute la durée du procès, l’actrice a été la victime d’une campagne de haine misogyne, notamment sur les réseaux sociaux. À la suite de ce verdict, différentes organisations féministes ont alerté sur un début de backlash contre les droits des femmes.

Contre-offensives réactionnaires

Le terme backlash pour désigner un retour de bâton conservateur et réactionnaire contre les avancées pour les droits et libertés de minorités de genre, de « race », ou sexuelle a été conceptualisé dans l’ouvrage de Susan Faludi Backlash : la guerre froide contre les femmes publié en 1991. Dans ce livre, la journaliste s’intéresse à la contre-offensive qui fait suite aux importantes mobilisations féministes aux USA dans les années 70, notamment pour le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) et contre les violences de genre. 

Dans les années 80, on assiste selon elle à une mécanique systémique et patriarcale d’annihilation des avancées obtenues par les organisations et collectifs féministes. L’auteure mentionne notamment l’introduction de nouvelles lois pour l’instauration d’un divorce sans faute et les représentations des femmes dans la culture populaire. 

Ce retour de bâton est principalement initié et soutenu par des milieux réactionnaires au pouvoir dans les sphères économiques, politiques, juridiques ou encore médiatiques. 

L’issue du procès Heard-Depp représente évidemment un coup dur pour la vague #MeToo qui, depuis 2016, a permis une forme de libération de la parole autour de la question des violences de genre. Pour autant, il ne s’agit pas de la première décision de justice qui minimise ou délégitime des accusations de violence de genre. Les attaques extrêmement violentes subies par l’actrice et orchestrées par des réseaux masculinistes n’ont, malheureusement, rien de nouveau non plus. 

Alerter sur un début de backlash à partir de ce procès surmédiatisé, c’est oublier que lorsque des femmes et des personnes dissidentes du système binaire sexe-genre, des personnes non blanches ou précarisées font le choix de recourir à des outils créés par et pour servir un système qui les opprime, les discrimine et les tue, cela tourne rarement à leur avantage. C’est oublier également le rôle que jouent des institutions comme la justice pour garantir la pérennisation du patriarcat systémique. 

L’annulation par la Cour suprême des USA, plus haute instance juridique du pays, de l’arrêt Roe v. Wade qui régissait depuis 1973 le droit fédéral à l’avortement, quelques semaines seulement après le procès Heard-Depp, en est d’ailleurs un exemple supplémentaire. Une Cour suprême qui est depuis peu dominée par des juges républicain·e·s conservateurs·trices, nommés en partie par Donald Trump dans les derniers moments de sa présidence. 

Féministes à l’avant garde des luttes

Depuis plusieurs années, les mouvements féministes auto-organisés représentent l’une des plus fortes résistances organisées contre le capitalisme patriarcal, impérialiste et raciste. Les populations non-blanches, les femmes et les personnes dissidentes du système binaire sexe-genre sont à l’avant-garde de la lutte contre le capitalisme mortifère : pour défendre des territoires face à des projets extractivistes, pour dénoncer les attaques contre les droits reproductifs, ou encore pour mettre en lumière le rôle spécifique de la division sexuée du travail dans les rapports de domination et d’exploitation capitalistes. 

Face à cette confrontation sociale élevée, qui remet en question l’ordre établi et cherche à proposer des alternatives révolutionnaires, le système se défend, et une lutte s’instaure. Aux USA, ces dernières semaines, c’est le camp réactionnaire, patriarcal qui a remporté une victoire. Mais ce n’est pas le cas partout, et parler d’un backlash sur cette seule base, c’est oublier ce qu’il se passe dans d’autres régions du monde, où le mouvement féministe gagne du terrain. Au Chili par exemple, où le droit à l’avortement est en passe d’être inscrit dans la nouvelle Constitution et cela après des années de lutte populaire contre une loi votée sous la dictature Pinochet et qui, jusqu’en 2017, interdisait totalement le recours à l’IVG. 

Les représentant·e·s de la droite réactionnaire s’attaquent aujourd’hui aux USA, avec les outils qui sont les leurs, aux mouvements féministes et à leurs exigences de justice et de transformation sociale. À nous de leur répondre, aux USA et partout ailleurs, avec les nôtres : l’organisation collective, la lutte auto-­organisée et la grève. Pas de backlash contre nos droits et libertés, nous ne laisserons rien passer. 

Noémie Rentsch