Livres en lutte pour l’été

Des palmiers secoués par un cyclone
De plus en plus de cyclones ravagent Tahiti. Cyclone Oli, 2010.

La tempête adolescente révèle la misère sous les palmiers  

Tahiti, paradis soumis à des cyclones soufflant parfois à plus de 200 km/h. Et tout le monde en a peur : peur des bourrasques qui arrachent les toits, les arbres, les voitures, le foyer soudain envolé. Cette peur n’échappe pas à la préadolescente de ce roman. Dans ce qu’elle voit et ce qu’elle entend, elle ressent cette stupeur du paradis ravagé. Pourtant, lorsque passe le cyclone, elle se sait protégée par son statut privilégié de métropolitaine expatriée, abritée dans une maison solide. 

Tout est en ordre, ses affaires de classe reposent dans sa chambre et les provisions d’eau attendent dans la cuisine. Mais quelque chose chuchote au dehors et à l’intérieur d’elle-même. Une de ses amies, Tumata, à la douceur mélancolique, qui évite de répondre aux questions intimes, porte de trop grands tee-shirts couvrant toute sa peau. Un jour, elle disparaît, confrontée à son terrible secret, son propre cyclone.

Passage du cyclone est un roman d’apprentissage qui dit l’enchantement d’une île, et la violence qui lui est inextricablement mêlée. Jennifer Lesieur, qui a vécu à Tahiti, évite tous les clichés pour raconter cet éveil sensoriel dans cette transition entre enfance et adolescence, dans une Polynésie saturée de couleurs, d’odeurs, mais où le soleil et la misère brûlent. PR

Les fruits des rosiers sauvages 

Pour inaugurer sa collection Grattaculs, consacrée aux écrits queers, Paulette éditrice a lancé un appel aux écritures et a rassemblé vingt-trois voix et expériences diverses dans un ouvrage collectif. Iels y défendent une langue française vivante, plurielle et inclusive, laissant la liberté aux auteuricexs d’adopter les règles qui leur conviennent. 

L’ouvrage se lit avec facilité et émotion : on y découvre des perles littéraires et des témoignages poignants de personnes malheureuses dans leur corps assigné, mais toujours « courageux·euses, car on a décidé de se battre contre la norme pour être nous ». L’obligation de glisser le mot confiture dans chaque texte montre que toutes ces personnes – auteuricexs, mais aussi lecteuricexs et éditericexs – ont un petit quelque chose en commun, de tendre et piquant à la fois. MB

Ressentir la puissance féministe 

De par leur massivité et leur radicalité les mouvements féministes sont devenus aujourd’hui un acteur politique incontournable. Verónica Gago décrit l’expérience militante produite par ces mouvements au travers d’assemblées, de mobilisations, de manifestations et leur effet sur l’action collective. 

Elle étudie la grève comme un concept et une expérience collective propre aux mouvements d’aujourd’hui ; une théorie politique permettant de connecter toutes les violences faites aux femmes et aux personnes dissidentes au capitalisme globalisé et au « patriarcat colonial de la finance ».  

L’autrice met en lumière une compréhension féministe de ce qu’est le travail (productif et reproductif), la consommation, l’exploitation et l’extraction et comment les rébellions féministes se créent. Partant des expériences des plus grands mouvements féministes, en Amérique Latine, cet ouvrage dépeint les défis actuels que représentent le néolibéralisme et la nouvelle contre-attaque conservatrice mais aussi la force de notre désir de tout changer. CAL

Une femme au front

«Que suis-je pour eux ? Probablement ni femme ni homme, un être hybride d’une espèce particulière […] je suis pour eux une femme, leur femme, exceptionnelle, pure et dure, à qui l’on pardonne son sexe dans la mesure où elle ne s’en sert pas, qu’on admire autant pour son courage que pour sa chasteté, son attitude, sa conduite »

Libérée, tragiquement, de son rôle de ménagère du front, Mika Etchebéhère reprend les rênes de la colonne du POUM laissée orpheline par la mort de son mari. Résistant héroïquement durant le siège de la ville de Sigüenza et échappant de peu à la mort, elle rejoint Madrid en octobre 1936 et participe activement à la défense de la ville face aux assauts répétés des troupes fascistes. 

Au-delà du compte-rendu poignant du quotidien de la guerre, de ses horreurs, de ses joies et de ses deuils, l’autrice introdut des analyses brillantes sur sa condition de femme, unique en son genre. Figure de mère amante, malgré des relations militaires platoniques, elle suscite la jalousie auprès de ses miliciens dès qu’elle s’absente trop longtemps. 

Mika Etchebehere relate l’oscillation constante de sa position et la discipline de fer qu’elle s’impose pour pouvoir la maintenir. La singularité de ce témoignage, d’une guerre maintes fois relatée, se situe donc dans la situation de son autrice qui loin de l’ignorer en offre une description quasi sociologique. CB

L’État ukrainien contre les travailleureuses 

Depuis le début de la guerre en Ukraine, plusieurs maisons d’édition de la gauche radicale se sont associées pour mettre gratuitement à disposition une série de textes, documents et témoignages sur ce conflit. À partir du 3 mars 2022, neuf volumes ont ainsi été publiés.

Dans la 8e livraison, on trouvera des informations rarement diffusées en Occident à propos des atteintes aux droits des travailleurs et travailleuses en Ukraine durant le conflit. Les patron·ne·s ukrainien·ne·s et le gouvernement Zelensky, aidés par les précieux conseils de l’USAID, office gouvernemental américain, ont mis à profit le conflit pour détériorer fortement la situation des salarié·e·s dans le pays, déjà peu riante. 

Des lois ont introduit des concepts juridiques pour le moins novateurs, permettant ainsi de suspendre le contrat de travail. Le ou la salarié·e se retrouve ainsi dans les limbes. Ni licencié·e ni payé·e, il ou elle n’a plus qu’à s’évanouir dans le paysage. Les patron·ne·s ont aussi la possibilité d’interrompre l’application d’une convention collective. Un désastre social vient ainsi s’ajouter à la guerre. Notre soutien au peuple ukrainien n’est pas un soutien à la politique de son gouvernement. DS

La révolution syrienne, ne pas oublier

L’ouvrage Syrie : le martyre d’une révolution se veut une vaste fresque des origines du soulèvement syrien, en mars 2011, jusqu’à aujourd’hui. Il décrit les acteurs·ices impliqué·e·s dans le soulèvement et comment la révolution en cours leur a échappé. 

Ce livre vise à examiner les raisons et les racines de la résilience du régime de Bachar al-Assad. Dans ce cadre, la nature de son régime est étudiée ainsi que la façon dont il a procédé pour réprimer le mouvement révolutionnaire. 

L’implication des organisations kurdes dans le soulèvement fait l’objet d’un chapitre particulier, avec notamment l’influence croissante du Parti de l’union démocratique (PYD). L’internationalisation du soulèvement syrien et les interventions, directes ou indirectes, de divers acteurs·ices internationaux et régionaux sont analysées, y compris l’implication massive des allié·e·s de Damas, de la Russie, de l’Iran et du Hezbollah, sans oublier le rôle des États-Unis et des monarchies du Golfe et la Turquie. 

Enfin, les nouvelles dynamiques économiques et politiques dans le pays y sont examinées, y compris un processus de concentration et de renforcement des centres de pouvoirs au sein du palais présidentiel de Damas. PR

Retour sur une histoire odieuse de la Banque Mondiale  

Depuis le début de l’ère néo-libérale, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) ont acquis une réputation exécrable dans les pays à la périphérie des centres d’accumulation capitaliste. 

Ces deux institutions financières intergouvernementales constituent les deux principaux piliers de l’ordre économique international instauré après la Deuxième Guerre mondiale sous la domination des États-Unis. Elles ont été les vecteurs privilégiés de l’extension au pays de la périphérie de la mutation néolibérale du système capitaliste. 

Dans ce cadre, le principal levier économique par lequel le nouvel ordre néolibéral fut imposé aux pays de la périphérie a été celui de la dette. 

Éric Toussaint a joué un rôle fondamental dans la fondation du réseau du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM).Ce n’est donc pas un hasard qu’ il en soit venu à être l’un des meilleurs connaisseurs de la Banque mondiale. Éric Toussaint dévoile dans ce livre des aspects occultes de la finance internationale et l’action des institutions économiques intergouvernementales. JD

Ernest Mandel, un marxiste révolutionnaire du 20e siècle 

Ernest Mandel (1923-1995) a milité jusqu’à sa mort au sein de la IVe Internationale, à une période où il n’était pas facile de s’affirmer communiste et antistalinien. Sa pensée eut un énorme impact sur la génération des années 1968. Ses écrits, notamment ceux consacrés à la théorie économique et politique, ont été traduits dans plus de 40 langues.

Plusieurs générations de militant·e·s ont connu Mandel. Mais sa biographie restait à faire. Jan Willem Stutje, historien associé à l’Institut international d’histoire sociale d’Amsterdam et à l’Institut de biographie de l’Université de Groningue, a mené une recherche approfondie pour cet ouvrage. D’abord publié en néerlandais et en anglais, il suscitera le débat. On y découvre l’activité militante de Mandel, et des détails fascinants, parfois tragiques, sur sa vie publique et privée. HPR

Un ouvrage posthume de Marc Vuilleumier

Au moment de son décès, l’historien Marc Vuilleumier avait en chantier un ouvrage sur la Suisse et la Commune de Paris. Il y traitait de trois thèmes : 

La position des milieux internationalistes en Suisse et leurs tentatives de soutien à la Commune ;

La participation d’émigrés suisses à la Garde nationale avant et durant la Commune ;

Le rôle de l’ambassadeur suisse Johann Konrad Kern et de son secrétaire Charles Lardy – par ailleurs hostiles à la Commune – en faveur des Suisse·sse·s emprisonné·e·s après la « semaine sanglante » de mai 1871. 

Marc Vuilleumier compare l’attitude des diplomates suisses en 1871 et celle (opposée) de l’ambassadeur de Suisse au Chili, lors du coup d’État contre le gouvernement de l’Unité populaire, en 1973. Un rappel très utile. HPR