Taïwan

Histoire complexe et héritages multiples

La crise diplomatique récente en Asie orientale soulève quelques questions. L’île de Taïwan est-elle chinoise ? Doit-elle rejoindre la République populaire de Chine ? Serait-ce une unification ou une réunification ? Posons d’abord quelques jalons historiques.

La présidente de la République de Taïwan Tsai Ing-wen
La présidente de la République de Taïwan Tsai Ing-wen lors d’une fête traditionnelle, août 2022

L e peuplement de l’île n’est probablement pas d’origine continentale, mais plutôt de la famille austronésienne, comme pour les Philippines et l’Indonésie. Si les différents empires chinois y apportèrent des influences (langue, écriture), l’île de Formose ne faisait pas formellement partie de la Chine impériale pendant des siècles.
À la fin du 16e siècle, elle est colonisée par la couronne hollandaise, qui fait venir des populations chinoises pour son besoin en main-d’œuvre. Entrée dans l’empire chinois au 17e siècle sous la dynastie des Quing, Formose est cédée au Japon en 1895 après une défaite militaire. La colonisation japonaise fut moins violente que celle appliquée dans d’autres régions (Mandchourie, Chine, Corée), et entraîna un certain développement économique et social.

L’invasion chinoise du KMT

Lorsque débarquent en 1948 les restes défaits de l’armée et de l’administration du Kuomintang (KMT), dirigées par le général Chiang Kai-shek (jusqu’à sa mort en 1975), l’île de Formose est submergée par la plus forte immigration chinoise de son histoire. Environ deux millions de Chinois·es continentaux s’y installent, imposant la langue et un nouveau régime politique.
La défaite du KMT face aux communistes chinois du PCC réduit le territoire de la République de Chine (RDC), proclamée en 1912 après la chute de la dernière dynastie impériale, au territoire de l’île.
Après la proclamation de la République populaire de Chine (RPC) par Mao Zedong, il existe deux gouvernements et deux régimes concurrents. Le KMT, soutenu par les États-Unis en cette période de guerre froide, va régner par une dictature sous la loi martiale et un parti unique jusqu’en 1987. À l’époque, tout le monde occidental s’accommodait parfaitement de ce régime, car il représentait le rejet du communisme. La RDC est aussi membre du Conseil de sécurité de l’ONU.

Chute de la dictature du KMT

La levée de la loi martiale en 1987 va permettre l’existence d’un mouvement de contestation contre la dictature du KMT, dont les étudiant·e·s seront le fer de lance. En mars 1996 a lieu la première élection présidentielle au suffrage universel de son histoire. Cette première sera saluée par des salves de tirs de missiles chinois de l’Armée populaire de libération, l’élection étant interprétée par la RPC comme une provocation. Cela montre bien les limites des ouvertures de Pékin. La perte d’influence du KMT permet au parti d’opposition PDP (Parti démocratique progressiste) de remporter en 2001 l’élection présidentielle.
Une forte mobilisation populaire contre un projet de traité de libre-échange avec la Chine en mars 2014 aboutit à sa suspension. Deux ans plus tard, la candidate Tsai Ing-wen (PDP) obtient une victoire électorale écrasante, et le PDP devient également majoritaire au parlement.
La lutte contre la dictature du KMT, les progrès obtenus dans l’exercice des libertés civiques et sociétales ne sont pas venus d’une copie d’un modèle « occidental ». Ces transitions résultent d’un combat pour des droits désirés par une majorité grandissante de la population. Ce processus apparaît irréversible, et pourrait constituer une référence d’évolution pour d’autres pays asiatiques, et notamment pour la RPC. C’est justement la crainte pour les dirigeants du PCC. Une croissance du niveau économique peut s’accompagner de libertés démocratiques, le « socialisme au caractéristiques chinoises » a trouvé une alternative.
L’évolution à Hong Kong joue aussi en défaveur de la RPC. La répression policière et judiciaire pour écraser le mouvement de masse pour les libertés civiques a montré l’interprétation du projet « un pays, deux systèmes » par Xi. Aujourd’hui, ces évènements repoussent pour une grande majorité de Taïwanais·es la perspective d’une unification avec la RPC, qui reviendrait au rattachement à la RPC et à la disparition des institutions politiques actuelles sur l’île.

Le statu quo signifie indépendance

Aujourd’hui, les Taïwanais·es dans leur immense majorité, rejettent le « modèle chinois » de Xi – la toute-puissance du Parti-État, la répression à tout-va et le nationalisme han, qui va à l’encontre de ce qu’est devenue la société taïwanaise depuis les années 1980.
De fait, Taïwan est devenue indépendante en construisant un cadre démocratique indispensable dans lequel ce peuple opprimé devient libre de s’autodéterminer. L’identité taïwanaise n’est pas simplement une version locale d’une quelconque « sinité » abstraite, mais une identité indépendante, le produit d’un processus non pas de « sinisation » mais de « taïwanisation » aussi bien culturel que politique.
Cette évolution des droits politiques, des libertés individuelles et sociales n’exempte pas la responsabilité du capitalisme taïwanais dans l’oppression et l’exploitation du prolétariat indigène et du reste de l’Asie, dont celui de la RPC ! Les multinationales, comme Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), jouent un rôle essentiel dans la mondialisation. Mais il faut admettre que la situation à Taïwan constitue un meilleur cadre pour se battre contre le militarisme et pour construire un avenir sans oppression ni exploitation, sur l’île comme sur le continent.

José Sanchez