Variole : victimes pas coupables

Face à l’inaction des institutions, l’urgence sanitaire autour de l’épidémie s’envenime. Bien que la Confédération ait enfin confirmé la commande de 40 000 doses de vaccin pour l’OFSP, la réponse apportée n’est qu’un sparadrap. Capitalisme, racisme, homophobie : état des lieux d’un désastre annoncé.

Action contre la variole à Montréal
Des activistes ont envahi la scène de la 24e Conférence internationale sur le sida pour exiger une action contre la variole, Montréal, 1er août 2022

La variole dite “du singe” n’est de loin pas une nouvelle pathologie. La cousine de la variole éradiquée depuis quelques décennies, il s’agit d’une infection qui provoque des états grippaux prononcés et des éruptions cutanées sous forme de pustules particulièrement douloureuses. Ce virus, identifié en 1958 et endémique depuis les années 70 dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, a pourtant peu mobilisé pour le combattre. C’est depuis ce début d’année que des premiers cas de variole dans le Nord ont été recensés. C’est une nouvelle situation endémique qui se poursuit cette fois dans les communautés d’hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes, dans une indifférence généralisée des pouvoirs publics et politiques. Malgré la lourdeur et la gravité des symptômes, le pourcentage élevé d’hospitalisations (10%) ainsi que les séquelles physiques, sociales et psychologiques, cette infection heureusement peu létale a eu tout le temps de se propager sans réponse coordonnée des pouvoirs publics au niveau mondial et local jusqu’il y a peu de temps.

La réponse des gouvernements face à l’épidémie émergente est glaçante par son inaction. Nous savons pourtant bien depuis la pandémie de Covid-19 que l’humanité sera de plus en plus souvent amenée à devoir relever de nouveaux défis sanitaires dus au réchauffement climatique, au tourisme de masse, à la migration forcée ou encore à la destruction des écosystèmes. Seule une réponse internationaliste permettrait de contrer les menaces sanitaires actuelles et force est de constater que les pays du Sud global sont privés d’accès à la santé dans le marché capitaliste mondial, avec les conséquences dévastatrices que cela engendre. Les réponses à apporter sont nombreuses et relativement peu compliquées vu la nature du pathogène – qui ne représente pas un grand défi scientifique mais qui est confronté aux priorités d’une santé privatisée qui place la poursuite de profits avant l’élaboration de stratégies coordonnées et globales.                     

 Les mauvais malades

     L’autre problème, c’est que la variole touche principalement dans les pays du Nord un public qui gêne. Par conséquent, les réponses des politiques et des autorités médicales illustrent très bien une homophobie crasse. Parce que parler de variole, c’est parler d’un           des grands tabous de notre société – le fait que des personnes identifiées à tort ou à raison comme masculines se prennent des bites dans le cul. Et très souvent ça met mal à l’aise nos autorités qui n’ont pas très envie de trop soutenir les gens qui ont une sexualité jugée déviante. Dans l’imaginaire collectif, on se dit qu’au final les maladies des pédés et des putes les concernent et qu’ils l’ont un peu cherché avec leur mode de vie. C’est un peu notre faute quand même hein ?

Ainsi la seule solution serait “d’abord de ‘rompre les chaînes de transmission’, en évitant notamment les rapports sexuels sans protection ou avec des individus inconnus” raconte à la RTS Laurent Kaiser, infectiologue aux HUG. Comprenons ici que si on n’étions pas des bêtes sauvages de sexe incapables d’avoir une sexualité normale, peut-être que les homos pourraient gérer cette épidémie. Une approche presque louable si nous n’avions pas d’autres moyens à disposition pour y répondre. Car malgré la disponibilité d’un vaccin et de traitements, la confédération a fait le choix d’attendre plusieurs mois avant de réagir. C’est visiblement aux déviantxes de se “gérer” alors-mêmequ’il semblerait que la transmission s’opère même si une protection (comprendre le sacro-saint préservatif) est utilisée et qu’elle peut se faire dans des cadres intimes sans sexualité. En gros, nos communautés seraient irresponsables et des viviers amoraux, vecteurs de maladie. Les parallèles historiques avec l’épidémie du sida sont nombreux et il semblerait que rien n’a changé.      

 Réponse communautaire

     Comme pendant l’épidémie du sida justement,c’est bien nos communautés qui sont obligées de se mobiliser en ce moment pour rendre compte d’une situation de plus en plus dramatique. Avec désormais plus de 400 cas diagnostiqués en laboratoire en Suisse, un chiffre amené sans aucun doute à doubler rapidement, la non-réponse de l’OFSP, du Conseil fédéral et de SwissMedic fait froid dans le dos. Sous couvert de technicalités administratives, c’est un renvoi de balle permanent entre les institutions qui montre la frilosité politique d’agir rapidement après les tensions engendrées par le Covid. Les moyens sont pourtant là pour endiguer l’endémie : accessibilité des dépistages sans outing auprès des proches et des employeurs·euses, vaccins de troisième génération (dont l’efficacité est malheureusement uniquement corrélée pour la variante actuelle, faute d’étude de phase 3) et traitements antivarioliques.

Le mercredi 24 août, le Conseil fédéral – sous pression médiatique et d’initiatives communautaires – s’est démené pour enfin apporter un semblant de réponse à ce bourbier en commandant un vaccin au seul fabricant mondial, faute de production dans des laboratoires publics. Malheureusement c’est avec le matériel pour vacciner uniquement 20’000 personnes que cela se concrétise. Ce chiffre quelque peu arbitraire n’est clairement pas suffisant, qu’on se le dise. Et désormais cela s’organisera entre les cantons qui devront commander les doses à la Confédération. Il y a de quoi s’inquiéter : comment les doses seront-elles distribuées ? Est-ce qu’une personne dont la vaccination n’est pas disponible dans son canton pourra aller dans un autre ? Est-ce que les cantons feront un travail de promotion du vaccin et le rendront réellement accessible ? Sans compter les limbes administratifs liés aux conditions de remboursement des prestations liées aux dépistages et aux traitements de l’infection et de la maladie.. Qu’on se le dise : c’est désormais aux communautés de prendre le contrôle sur ce sujet, c’est à nous de décider comment ce vaccin doit être distribué. Nous le savions déjà mais la réalité est à nouveau limpide : nos sociétés n’en ont rien à foutre des corps du Sud global et des pédés.

Seb Zürcher & Gorge Profonde