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2.03.2004

Ekta Parishad: les sans-terre indiens

Ekta Parishad: les sans-terre indiens

Dans le cadre du Forum social mondial 2004 de Mumbai, plusieurs syndicalistes ont multiplié les contacts avec différents mouvements sociaux indiens, afin de prendre la mesure de certaines luttes et de les soutenir. C’est dans ce cadre qu’Eric Decarro, Pierrette Iselin du SSP et Brigitte Anderegg de Solifonds ont suivi et soutenu par leur présence, pendant une dizaine de jours, les activités du mouvement Ekta Parishad1 en se rendant dans l’Est de l’Inde à un millier de kilomètres de Mumbai dans les Etats du Chhattisgarh et d’Orissa.

Les populations tribales sont les plus implantées dans des Etats comme le Tamil Nadu, le Madhya Pradesh, le Chhattisgarh, l’Orissa, le Kerala et le Bihar. Dans ces Etats, elles représentent 30 à 40% de la population, alors qu’elles ne représentent que 7% de la population de l’Inde.

La question déterminante est la suivante: les Adivasi (nom de la population tribale la plus importante) peuplent des régions de l’Est et occupent les forêts depuis des temps ancestraux, mais ce droit est aujourd’hui menacé par le gouvernement fédéral de l’Inde. Un ordre du ministre de l’Environnement et des Forêts, daté du 3 mai 2002, déclare illégale l’occupation des terres dans les régions forestières, a moins de détenir un titre foncier. Or ces populations n’ont pas du tout la notion de propriété individuelle et sont confrontées à un conflit permanent avec le gouvernement pour obtenir des titres.

Dans les Etats du Chhattisgarh et d’Orissa, la question est cruciale car les forêts occupent 70% de la superficie et les populations rurales Adivasi sont très nombreuses. Leur condition est encore aggravée par la conjonction de plusieurs éléments: pression sur les terres et les eaux d’irrigation exercée par les grands propriétaires, exploitations forestières et plantations de teck, exploitation des ressources minières (fer, diamant, charbon, bauxite), projets de parcs animaliers publics. Ces projets sont prévus et financés par la Banque Mondiale, qui encourage les autorités nationales et locales à poursuivre l’ouverture de l’économie indienne aux investissements étrangers ce faisant, elle exige que les projets qu’elle soutient en matière de distribution d’eau, de santé ou d’enseignement appliquent une politique de recouvrement des coûts, ce qui exclut une partie importante de la population indienne de l’accès aux services de base.

Un combat quotidien

Ekta Parishad («le forum de l’unité») regroupe plus de 150000 membres. Ce mouvement gandhien fondé par Rajgopal, un homme d’une cinquantaine d’années qui lutte depuis les années 90 pour l’émancipation des populations tribales, a pour but, par des actions non violentes, d’obliger le gouvernement, la police, les administrateurs de départements des forêts, de mettre en acte les lois existantes et de favoriser les politiques d’aide aux plus démunis. Son mode d’action privilégié est la «yatra», qui consiste en une marche d’information et de revendications inspirée du modèle gandhien de «la marche du sel». La yatra rassemble les marcheurs autour d’un groupe permanent d’une centaine de personnes sur un parcours d’environ 300 kilomètres pendant un mois ou plus. Le groupe central comprend une équipe culturelle, chargée de l’expression théâtrale et musicale qui alterne avec les discours des animateurs et animatrices. Dans chaque village, les revendications, les plaintes ou les vœux des habitant-e-s sont collectés pour être examinés. Puis des groupes sont constitués avec l’aide d’assistant-e-s sociaux locaux pour mobiliser les communautés en vue d’actions de recouvrement des terres et de régularisation de titres, ainsi que de modes de cultures qui privilégient la préservation des sols, l’accès à l’eau et le recours aux semences naturelles.

Déplacements de populations

Plus de 22 millions de personnes déplacées en 1990, plus de 30 millions aujourd’hui, affirme un rapport officiel (India Disasters report, Oxford University Press 2000)

Très vite nous prenons la mesure de ce phénomène dans les Etats que nous traversons. En Orissa, de 1998 à 2001, 80000 personnes ont été déplacées dans le secteur des forêts, 325000 pour les besoins de construction de barrages et de digues, 65000 pour les forages miniers, 72000 pour les besoins de l’industrie. Les communautés que nous rencontrons font toutes état de ce désastre permanent qui a des conséquences irréversibles sur leur mode de vie et la destruction de leurs environnement.

Les femmes et les enfants sont particulièrement touchés par les menaces constantes, les réserves d’eau qui s’épuisent, les maladies chroniques et la destabilisation psychologique qui s’ensuit. Les femmes des communautés organisées par Ekta Parishad sont d’ailleurs aux premières lignes pour affronter les autorités administratives et la police. Conscientes des enjeux que provoquent ces déplacements, elles organisent les assemblées, prévoient les actions à mener et se déplacent en nombre pour les manifestations.

Effets pervers d’une multinationale

Enfin, nous avons pu mesurer les dégâts causés par une multinationale: la Sterlite Company (exploitation de bauxite) au capital anglais et indien, a déjà déplacé deux villages pour sa raffinerie et s’apprête à en déplacer onze autres. La «yatra» n’a pu approcher les communautés entourant l’usine, rencontrant une forte hostilité des gardiens et des travailleurs de l’usine, alors que les villageois tentent de se mobiliser contre les menaces d’expulsion dont ils font l’objet. Ekta Parishad fera part de ces atteintes aux droits humains devant la cour de justice de Bubaneshwar, lors de la manifestation finale qui aura lieu le 26 février, regroupant plusieurs milliers de personnes réclamant leurs droits.

La lutte pour le droit à la terre est déterminante pour tout le sous-continent indien. Le déplacement en Inde nous a donné l’occasion de dialoguer avec des activistes, surtout des femmes qui agissent sur différents terrains afin d’essayer de comprendre le regard qu’elles portent sur le Forum social mondial et le mouvement altermondialiste auxquels elles prennent part.

Pierrette ISELIN

  1. http://www.ekta-parishad.org/.
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Paru dans le n° 41 de solidaritéS

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