Propre en ordre: 90000 salariées sous-payées

Propre en ordre: 90000 salariées sous-payées

90000 nettoyeuses et nettoyeurs professionnels contribuent quotidiennement à la propreté de ce pays. Il s’agit, pour la grande majorité d’entre eux, de femmes, étrangères, engagées à des taux d’occupation minimaux, travaillant dans des conditions précaires et pour un salaire de misère. Entretien avec Natalie Benelli.1

Selon les statistiques, la majorité des employé-e-s de nettoyage sont des femmes étrangères. Plus concrètement, qui sont ces personnes?

Nous ne disposons pas de statistiques couvrant toute la branche. Pour mieux comprendre la situation, il est utile de distinguer trois sous-branches: du côté du nettoyage public (nettoyage de bureaux, d’hôpitaux, d’écoles, d’administrations publiques, de sites industriels, etc.), près de 1700 entreprises de nettoyage emploient, à l’heure actuelle, environ 45000 employé-e-s. Trois quarts sont étranger-e-s, dont une majorité des femmes. Sur ces 45000 employé-e-s, 80% travaillent à temps partiel, les emplois à plein temps étant généralement réservés aux hommes.

Parallèlement, il existe toujours des sociétés ou des administrations publiques qui ont un service interne de nettoyage. Malheureusement, nous ne savons pas combien de personnes y travaillent et quelle est leur composition. Ce personnel profite généralement de conditions de travail meilleures, mais il est sous la menace permanente de l’externalisation. Du côté du nettoyage privé, on estime qu’au moins 10000 personnes, quasi exclusivement des femmes étrangères, font des ménages privés au noir. Leurs conditions de travail sont très variables.

Vous parlez de la menace de l’externalisation. De quoi s’agit-il et quelles en sont les conséquences pour les salarié-e-s?

Il faut d’abord situer la branche du nettoyage dans le contexte économique actuel. Avec la crise des années 80, les entreprises et les administrations publiques ont commencé à externaliser des services annexes à leur activité principale. Des services comme le nettoyage sont sous-traités, c’est-à-dire effectués par une entreprise privée. Celles-ci cherchent à offrir leurs services au prix le plus avantageux, tout en restant compétitives sur un marché marqué par une forte concurrence. Dans ce but, les coûts liés au personnel sont réduits au maximum, ce qui explique, pour une part, le bas niveau des salaires dans la branche.

Un exemple: La convention collective de travail (CCT) pour le Canton de Genève fixe le salaire du personnel d’entretien de bureaux travaillant moins de 22 heures par semaine à 17.35 francs l’heure. Ainsi, une nettoyeuse qui travaille trois heures par jour du lundi au vendredi, arrive à un salaire mensuel brut de 1041 francs. Ceci, évidemment, à condition de pouvoir travailler tous les jours. En réalité, les entreprises ne garantissent pas aux nettoyeuses un nombre minimal d’heures de travail. On les appelle en cas de besoin. Elles ne savent donc jamais combien elles seront payées à la fin du mois. A la précarité financière s’ajoute une pression au niveau du travail lui-même. Il doit être accompli dans un minimum de temps, les heures supplémentaires n’existent pas. Or, le volume de travail rend impossible de fournir un travail «bien fait», les nettoyeuses devant travailler à un rythme accéléré pour arriver à nettoyer tout leur domaine.

Quel lien peut-on faire entre les conditions de travail précaires et la forte présence d’une main-d’œuvre féminine étrangère?

Il y a, effectivement, un lien très fort. L’activité de nettoyage est considérée comme demandant peu de connaissances et de savoir-faire. C’est ce qui justifie les bas salaires. C’est pourquoi c’est surtout à des étranger-e-s qu’on offre ces emplois. De plus, les entreprises de nettoyage profitent du fait que les femmes étrangères ont beaucoup de difficultés à se voir offrir des emplois plus valorisés sur le marché du travail, ce qui ouvre la voie à leur exploitation redoublée. Enfin, il s’agit d’une activité exercée en marge de la journée normale de travail, c’est-à-dire tôt le matin ou tard le soir, fait qui justifie des engagements à des taux d’occupation très bas. Or, les temps partiels réduits sont souvent moins rémunérés proportionnellement. Pour reprendre l’exemple de la CCT du Canton de Genève: celle-ci fixe un salaire moins élevé pour le personnel d’entretien travaillant moins de 22 heures par semaine, réalité qui touche la majorité du personnel d’entretien, catégorie quasi exclusivement féminine. A tous ces éléments s’ajoute le fait que dans l’imaginaire collectif, toute femme est censée avoir un mari ou un compagnon. Dans cette optique, le salaire de la femme est vu comme un salaire d’appoint. Cette vision des choses justifie d’autant plus des salaires de misère offerts aux femmes. Dans ce contexte, notons que les nettoyeuses qui font des ménages au noir sont, de manière générale, mieux payées, leur salaire pouvant aller jusqu’à 25 francs l’heure. Ceci ne rend pourtant pas leurs conditions de travail moins précaires. Dans la majorité des cas, elles ne cotisent pas aux assurances sociales et ne sont pas couvertes en cas d’accident au travail.

Entretien réalisé par Magdalena ROSENDE

  1. Sociologue du travail à l’Université de Lausanne, elle prépare une thèse de doctorat sur la manière dont les nettoyeuses et les nettoyeurs vivent leur travail.