Santé des infirmières et organisation du travail hospitalier

Santé des infirmières et organisation du travail hospitalier

Le secteur hospitalier est en proie à une réorganisation du travail selon les critères néolibéraux. La recherche de la rentabilité maximale de l’équipement et la rationalisation des ressources matérielles et humaines va de pair avec les compressions budgétaires et l’apparition de modes de management hérités de l’entreprise industrielle. En Italie par exemple, on ne parle plus désormais que d’«entreprises sanitaires».

Le nombre de lits diminue, le nombre d’hospitalisation d’un jour augmente et les séjours des patients raccourcissent. Ceci représente un moyen de transférer le poids des soins de convalescence sur les familles, en particulier sur les femmes, et vers les secteurs privatisés des soins à domicile. Voilà un des moyens mis en œuvre pour individualiser les coûts sous couvert de responsabilisation…

Virage ambulatoire

Un exemple de ces réformes structurelles est donné par le cas du Québec1. A l’automne 1994 une trentaine d’hôpitaux pour soins généraux et spécialisés ont été fermés et un certain nombre d’entre eux reconvertis en établissements pour soins de longue durée pour les personnes âgées. Pour chercher à comprimer les coûts de fonctionnement, les départs à la retraite ont été favorisés avec un succès allant bien au-delà des attentes. Au seul Centre Hospitalier Universitaire de Québec, entre 1994 et 2000, le nombre de salarié-e-s a diminué de 12% alors que le nombre d’admissions s’est réduit seulement de 4% en courte durée, de 87% en longue durée et a augmenté de 25% en néonatalogie. On appelle cela le «virage ambulatoire», qui se traduit pour le personnel par une réelle intensification du travail. Suite à ces départs à la retraite l’ensemble du secteur hospitalier assista à une recomposition des équipes «d’une ampleur jamais vue» avec réduction du personnel expérimenté et augmentation de nouvelles personnes à former. Trop souvent le travail de formation que les équipes doivent faire pour intégrer les nouveaux arrivants est sous-estimé. Il constitue pourtant une charge de travail non négligeable.

Une hémorragie encore plus importante a touché le personnel d’encadrement qui s’est retrouvé ainsi à devoir diriger des équipes plus nombreuses et plus hétérogènes sans pouvoir les aider correctement.

Personnel accablé

Le raccourcissement du séjour a provoqué un suivi plus intense et plus exigeant de la part des soignants. La rotation accrue des patients a rendu nécessaire un effort d’adaptation plus fréquent et il s’est avéré que la moyenne de gravité des cas soignés est devenue plus importante. Ces phénomènes concomitants: diminution du personnel, recomposition des équipes, diminution de l’encadrement, raccourcissement des séjours, accroissement des rotations ont engendré une intensification et une plus grande complexité dans l’organisation du travail dont les effets sur la santé n’ont pas tardé à se manifester. L’augmentation du stress chez le personnel, voire l’apparition de formes de détresse psychologique, s’est répercutée sur le taux d’absence (augmentation de 32% entre 1994 et 1999) et sur les coûts d’assurance pour l’employeur (augmentation de 39%). Le malaise était si évident que la direction du CHU a dû se résoudre à mettre en place un programme d’aide psychologique aux employé-e-s qui, selon les auteurs de l’étude, a eu un «réel succès»!

D’autres recherches concernant le problème de sous-effectif en milieu hospitalier mettent en évidence les diverses répercussions sur l’organisation du travail et la santé des travailleurs-euses. La charge psychique du travail causée par le manque de soutien et de disponibilité pour les patients s’accentue et se manifeste par le développement de stress et surmenage. Un déficit de communication et d’information au sein des unités s’installe. L’activité devient plus «hachée», les interruptions fréquentes se répercutent sur la fiabilité du travail ce qui augmente la charge mentale et le sentiment d’insatisfaction. D’un autre côté, sous la pression du temps et de la raréfaction des effectifs, les collaborations entre collègues pour la «manutentions» des patients se font rares, ce qui augmente d’autant la charge physique.

Encore plus que dans d’autres secteurs d’activité, dans les métiers confrontés avec la souffrance et la mort, les aspects psychiques et affectifs jouent un rôle très important. L’organisation des prestations est déterminante en matière de souffrance ou de satisfaction dans le travail. Si elle permet au personnel de trouver des marges de manœuvre rendant possible la réalisation d’un réel travail d’équipe et de fournir des soins de qualité personnalisés, la charge émotionnelle peut être maîtrisée malgré les difficultés inhérentes au métier.

Massimo USEL

  1. FB Malo, B Sire. «L’intensification du travail dans les services publics: le cas du Centre Hospitalier Universitaire de Québec», Les notes de LIRHE, no 383, Université Toulouse 1, septembre 2003.