Cochonnerie anachronique et climatocide
Le 10 octobre, soit un peu plus d’un mois après la publication dans la feuille officielle de la mise à l’enquête de l’agrandissement d’une porcherie aux Ponts-de-Martel, Le Courrier annonçait le retrait du projet. S’il avait été accepté, l’exploitation de Cédric Schwab aurait quadruplé. Actuellement, ce sont déjà 450 cochons qui sont engraissés sur ce site pendant 180 jours.
Cet agrandissement se situait dans la ligne de la « restructuration » du secteur agricole entamé il y a quelques décennies : depuis les années 2000, 30 % des exploitations ont disparu tandis que le nombre d’animaux d’élevage a doublé dans le même laps de temps. Cette concentration bénéficie donc aux grandes exploitations, et donc à une certaine bourgeoisie territoriale qui continue de s’accaparer les terres au détriment des plus petites structures. Aujourd’hui, 5 % des porcheries engraissent un tiers des porcs élevés en Suisse.
Comme dans le cas de la halle d’engraissement des 600 taurillons à Coffrane, le Conseil d’État, en la personne de Laurent Favre, soutient pleinement le projet. On parle de circuits courts, de lutte contre le gaspillage alimentaire grâce à la valorisation du petit-lait des exploitations laitières de la région, de faire marcher l’abattoir du village, de bien-être animal, etc. Le collectif constitué pour lutter contre ce nouveau projet anachronique, « les 1 800 sans nom », ne se laisse pas bercer de mots creux et a déjà récolté plus de 1350 signatures via une pétition en ligne.
Rétropédalant face à la médiatisation et à la mobilisation entourant le potentiel agrandissement de la porcherie, Laurent Favre fait alors volte-face et déclare à Keystone-ATS que «le projet a probablement été mis à l’enquête trop vite». L’article d’ArcInfo (14 octobre) mentionne qu’une trop forte concentration de lisier sur l’exploitation n’aurait pas répondu aux exigences concernant la protection des eaux. En effet, si le projet avait été accepté, ce serait 2000 m³ de lisier supplémentaire qui aurait été produit. Celui-ci est 75 fois plus polluant que les eaux usées domestiques.
2,5 millions de cochons
Toutefois, l’agrandissement n’est pas complètement enterré. Cédric Schwab parle de reprendre les discussions avec les autorités et de redimensionner son projet. Pourtant, la RTS révélait cet été que la Suisse engraisse à peu près 50 000 cochons en trop par rapport à la demande. Pourtant, le porc est toujours la viande préférée de la population, avec une consommation moyenne de 21 kg par année et par habitant·e·x. L’année dernière, ce sont ainsi 2,5 millions de porcs qui ont été engraissés sur le territoire helvétique.
Dans ce contexte, quelle est la pertinence d’augmenter encore la production ? D’augmenter les importations de fourrage protéiné comme le soja ? La Suisse importe pourtant déjà 50 % de son fourrage concentré. D’augmenter les émissions de gaz à effet de serre (GES) alors que l’élevage est déjà responsable de 14,5 % des émissions totales au niveau mondial ? D’augmenter le risque de zoonoses et donc d’épidémies alors que nous sortons tout juste d’une pandémie qui a fait des millions de victimes ?
Gâchis calorique
À l’heure où la question de l’auto-approvisionnement alimentaire bénéficie d’un regain d’intérêt, Laurent Favre a de nouveau manqué le coche en soutenant la production carnée, alors que 43 % des terres arables suisses sont utilisées pour produire du fourrage plutôt que pour nourrir directement la population.
Nous consommons deux fois plus de produits végétaux par le biais de notre consommation d’origine animale que nous ne le faisons directement. Ce gâchis est pourtant reconnu par nos autorités, puisque dans le déjà peu ambitieux plan climat neuchâtelois, une mesure vise à évaluer le potentiel de reconversion des surfaces fourragères.
Qu’en est-il de la détention particulièrement respectueuse des animaux (programme SST) promise par le projet ? C’est 0,9 m² dévolu à chaque animal et pour certains, un accès à une courette en béton à l’extérieur. La mise à l’enquête ne disait pas quels animaux y auraient eu accès ni pourquoi certains d’entre eux n’y auraient pas eu droit.
Peut-on donc vraiment parler de bien-être animal lorsque l’on sait que certains de ces cochons vivront six petits mois enfermés dans un bâtiment sans accès à l’extérieur (quand bien même ce ne serait qu’une courette en béton), prenant entre 4 et 7 kg par semaine alors que nous savons que ces animaux sont capables de ressentir la peur, la douleur, l’ennui, le stress, etc. Comme tous les êtres vivants.
Ne nous leurrons pas, la viande issue d’élevages industriels suisses n’est pas plus écologique ni éthique qu’ailleurs. Continuons à lutter contre ces projets d’un autre âge et ne laissons pas les méga halles d’engraissement devenir la norme, dans le canton de Neuchâtel ou ailleurs.
Julia Huguenin-Dumittan