TPG

Direction déloyale face à une grève historique et ... finalement victorieuse!

Entretien avec notre camarade Florian Martenot, chauffeur, membre du SEV et de solidaritéS Genève. 

Groupe de personnes devant le dépot TPG
Piquet de grève devant le dépôt des TPG de la Jonction

Bonjour Florian, le 28 juin dernier, le SEV (syndicat du personnel des transports) et transfair avaient déjà déposé un préavis de grève puis l’avaient levé. Peux-tu nous rappeler ce qui s’est passé depuis avec l’employeur et les raisons de la grève d’aujourd’hui ? Cette fois-ci, le préavis sera-t-il maintenu ? Le préavis de grève du 28 juin a été suspendu, car la direction des TPG avait saisi la Chambre des Relations Collectives de Travail (CRCT). Tant que les parties négocient sous l’égide de cet organe de conciliation, toute action de lutte est interdite. À l’issue de ces échanges fin juillet, la direction des TPG a mis un terme aux négociations en faisant une « ultime proposition » : indexer la grille salariale des employé·e·s de +0,6 % au 1er septembre 2022, ainsi qu’une prime de 400 francs nets. Cette proposition a été appliquée en septembre dernier. Elle a toutefois été considérée comme insuffisante par une large majorité des membres du SEV et de transfair qui réclament l’indexation pleine et entière, soit +1,2 %. Le préavis de grève a donc été réactivé pour le 12 octobre.

À ces questions salariales, s’ajoute une enquête qui révèle un état de santé du personnel inquiétant. Peux-tu nous en dire plus ? Cette enquête menée conjointement par Unisanté, le SEV, syndicom et le Syndicat des Services Publics a confirmé le résultat de précédents sondages. La conduite est un métier qui use. La plupart des sondé·e·s souffrent de maux de dos, de douleurs musculaires et de troubles du sommeil. 

Certaines contraintes liées à ce métier sont inévitables, comme les horaires irréguliers par exemple. Une amélioration des conditions de travail en réduisant la durée des tranches de conduite les plus longues, ou encore en réduisant le temps de travail sans perte de salaire pour les travailleurs·euses agé·e·s, contribueraient à limiter les dégâts sur la santé. 

Comme toujours, la recherche d’économies s’oppose à de telles mesures qui permettraient pourtant de lutter contre un absentéisme tournant autour des 10 %.

Dans le contexte de crise climatique, les jeunesses des mouvements de gauche ont fait aboutir une initiative pour la gratuité des TPG. Cette question est-elle discutée par le personnel ? Assez peu, le sujet ne sera probablement abordé que lors de la campagne de votation. Malheureusement, une majorité d’employé·e·s n’y est pas favorable, car la Direction et le Conseil d’État ont réussi à faire passer l’idée que les capacités financières sont indissociables du prix du billet. 

Pour les salarié·e·s, s’attaquer à l’un revient donc à s’attaquer à l’autre. Pour les convaincre qu’un autre financement est possible, il faudra que les organisations initiantes fassent un gros travaild’explication.

Comment s’est déroulée la mobilisation de ce mercredi 12 octobre qui a commencé très tôt ce matin et quelles suites le personnel entend donner à cette journée ? La réussite de la mobilisation à ce point, on ne l’espérait même pas, c’est vraiment inédit ! Ce matin, la mobilisation était moyenne (80 personnes au dépôt de la Jonction, une centaine à ceux du Bachet et En Chardon). Mais la tentative de la Direction de casser la grève, en positionnant des véhicules (bus, trolleys et tram) dans les rues de Genève la veille au soir pour éviter les blocages aux dépôts, a braqué les collègues et ça a aidé tout le mouvement ! 

Concrètement la veille au soir, la direction a demandé à des collègues en service de cesser leurs parcours, de laisser les passagers aux arrêts, de venir faire le plein aux dépôts puis de parquer les véhicules sur des voies pour bus ou de trams (et pistes cyclables). Certain·e·s collègues ont même dû rentrer à pied chez elles·eux. 

Au total, 185 véhicules ont été gardés par des agents de sécurité privée pendant la nuit. C’est une partie de cette flotte qui a permis aux non-grévistes de démarrer leurs services ce matin sans passer devant leurs collègues grévistes. Cela n’a quand même pas permis à la direction d’assurer un service minimum tel qu’elle l’avait promis. 

La rencontre à midi avec la direction qui reste inflexible sur les conditions salariales mais propose de discuter d’autres sujets a renforcé la détermination du personnel. 

Lors de l’Assemblée à 16 h, à peine avions-nous fini de faire le retour de cette rencontre que les collègues furieux·euses exigeaient la reconduite de la grève pour le lendemain. À la quasi-unanimité des 400 participant·e·s dans les trois dépôts, la grève est reconduite avec bien sûr les mêmes revendications. 

En plein bouclage de notre Journal, le mercredi soir, nous t’avions laissé avec des AG votant la reconduction de la grève pour le lendemain. Et cette journée de jeudi a été décisive ! Raconte nous !

En effet, les assemblées du personnel se sont prononcées pour une reconduction de la grève dès le lendemain, une première aux TPG. Une preuve de plus, s’il en était besoin, de la détermination des collègues mobilisés. Cette détermination s’est vérifiée le jeudi à 3h30. Les collègues étaient présents en nombre pour tenir les piquets de grève. De manière générale, ils se sont appropriés ce mouvement en appelant activement les collègues à nous rejoindre et en participant à son organisation. Vers 4h, quelques véhicules sont sortis des dépôts, puis un autre événement clé s’est produit : le blocage des véhicules par des personnes et organisations venues soutenir la grève. Cette action a entraîné un arrêt quasi total du réseau, donnant un poids considérable à la mobilisation. Une seconde rencontre entre direction des TPG et syndicats a eu lieu en fin de matinée. La direction a soumis une proposition, ensuite acceptée par les assemblées du personnel. Selon cet accord, la direction s’est engagée à indexer les salaires de 0,6% supplémentaires en janvier 2023, répondant ainsi à l’exigence du personnel qui réclamait cette augmentation en plus des 0,6% déjà obtenus en septembre. De plus, il a été convenu que des négociations concernant le cadre des indexations, y compris celle de 2023, devront avoir lieu dans les semaines qui viennent. Cet accord constitue indéniablement une victoire pour les collègues mobilisés, puisque jusque-là, la direction s’était montrée inflexible sur davantage d’indexation. Du point de vue syndical, la mobilisation est un immense succès. Non seulement la preuve a été faite, une fois de plus, que la lutte paie, mais ce mouvement a été l’occasion pour de jeunes collègues de prendre part à une grève et découvrir ce moyen de lutte. De nombreuses personnes ont adhéré aux syndicats à cette occasion et ont annoncé se tenir prêts à de futures mobilisations. Le combat ne cesse jamais, mais pour l’heure, le personnel des TPG a prouvé qu’il était capable de se battre pour ses revendications et d’obtenir gain de cause.

Propos recueillis par Thomas Vachetta