«On croyait que la suisse était un pays de droits humains»

Les récits d’au moins 100 requérant·es d’asile du Burundi, d’Afghanistan et de Turquie que le Secrétariat d’État suisse aux migrations (SEM) veut renvoyer en Croatie ont été recueillis par le collectif romand Droit de Rester.

Un réfugié porte un message contre la police croate
L’un des témoignages rendus publics lors de la conférence de presse, Neuchâtel, 19 octobre 2022.

« Les policiers croates m’ont pris toutes mes affaires et ils ont tout brûlé devant moi… Ils nous ont forcé·e·s à donner nos empreintes et à signer un document écrit en croate… Un de mes amis a été poursuivi par un chien et est tombé dans la rivière. Il est mort. D’autres ont été tabassé·e·s, blessé·e·s… »

 Ces extraits ne sont que la pointe de l’iceberg de récits d’au moins 100 requérant·es d’asile du Burundi, d’Afghanistan et de Turquie que le Secrétariat d’État suisse aux migrations (SEM) veut renvoyer en Croatie sous prétexte qu’il s’agit de leur premier pays Schengen d’arrivée. Nous sommes allé·es leur parler. Les noms sont d’emprunt.

Signal de détresse des ONG humanitaires

Certain·e·s de ces requérant·e·s d’asile appartiennent au peuple tutsi, qui constitue une minorité au Burundi et y fait l’objet d’une discrimination ethnique. Les témoignages ont été recueillis par le collectif romand Droit de Rester puis publiés dans leur lettre ouverte au SEM avant d’être présentés au public lors d’une conférence de presse à Neuchâtel le 19 octobre. Dix chercheurs·euses sur la migration et des organisations telles que le Centre social protestant (CSP), Feminist Asylum, Migrant Solidarity Network ont signé cet appel à l’annulation urgente des refoulements de demandeurs·euses d’asile vers la Croatie. Se référant aux accords Dublin, le SEM a répondu qu’il ne s’agissait que de cas isolés et qu’il n’y avait donc aucune raison de laisser ces requérant·es d’asile s’installer en Suisse. 

Dissimuler des crimes sans châtiment

Les crimes de la police frontalière en Croatie sont bien documentés. Le 13 septembre, l’Organisation suisse d’aide aux réfugié·es (OSAR) alertait les autorités sur les violences policières croates en exigeant du SEM qu’il renonce aux transferts vers ce pays. Institutions internationales et ONG comme l’ONU, le Conseil de l’Europe, Amnesty International, le Conseil danois pour les réfugiés (DRC) ou encore Human Rights Watch regorgent de rapports choquants sur les tortures, bastonnades, vols, viols, électrochocs, déshabillages en hiver et autres humiliations par la police croate envers les personnes migrantes, y compris les enfants et les femmes enceintes. Des cas de décès ont également été signalés.

Sécurisation de la politique d’asile et l’écho de Frontex

La Suisse est connue pour sa politique d’asile stricte et son application aveugle des accords Dublin, une pratique dénoncée par des ONG comme Amnesty. Mais cette politique est-elle efficace ? En 2019, Felipe González Morales, rapporteur spécial de l’ONU sur les droits des personnes migrantes, a noté que la pratique de l’expulsion ne décourage pas les réfugié·es de migrer vers l’espace Schengen, mais les oblige à recourir aux trafiquant·es d’êtres humains.

Cette politique stricte est d’autant plus inique que la Suisse est un centre d’accumulation capitaliste qui vit de l’exploitation de la périphérie. La valeur créée par le travail des ouvriers·ères des pays «sous-développés», dont le Burundi, sert à payer l’aménagement des infrastructures en Suisse, de ses villes, ses salaires élevés et les services sociaux pour ses résident·es.

Le cadre légal oblige

La Déclaration des droits de l’homme stipule que toute personne a le droit de demander et de bénéficier de l’asile contre la persécution dans d’autres pays. La Convention de Genève de 1951 et le principe de non-refoulement interdisent l’expulsion vers une région où la vie ou la liberté de la personne réfugiée serait menacée. Sur cette base, Droit de Rester appelle le SEM à recourir à la «clause de souveraineté» du règlement Dublin III, qui lui permet de traiter toute demande d’asile «pour des motifs humanitaires et de compassion». Des principes bien connus des réfugié·e·s mais pas du SEM : «Tout ce qu’on veut, c’est être traité·es comme des êtres humains et que les droits humains soient respectés», dit Théodore.

Droits de l’homme (blanc)

On voit les doubles standards d’un État qui, par désir de paraître hospitalier et gardien des droits humains, accepte d’une main des dizaines de milliers de réfugié·es à la peau blanche et de l’autre, envoie à la mort des réfugié·e·s non blanc·he·s. «On croyait que la Suisse était un pays de droits humains, mais nous n’avons rencontré que du racisme», soupirent les Burundais·e·s menacé·e·s d’expulsion.

Les demandeurs·euses d’asile sont limité·es dans leurs droits jusqu’à l’obtention du statut de réfugié·e : «J’ai besoin d’une opération. Le problème c’est qu’ils m’ont dit que je n’aurai mon opération que quand j’aurai l’asile», s’insurge Patrick. Le SEM n’instruit même pas l’état de santé avant de prononcer des renvois, ce qui doit constituer une étape cruciale pour une défense juridique. Entre-temps, de nombreux·euses résident·es de foyers surpeuplés ont déjà reçu leurs décisions négatives et ont été expulsé·es. Cela se passe à l’improviste tôt le matin ; on donne quelques minutes pour préparer la valise et on met les refugié·es dans un avion le jour même. Une réfugiée, Flora, avoue : «Je préfère mourir que de retourner en Croatie».

Exigeons du SEM l’arrêt immédiat de ces transferts et une politique d’ouverture des frontières et d’accueil digne et en sécurité ! 

Rébecca Mathieu