Et la progressivité de l’impôt ?

Dans le cadre de la campagne pour les élections au Grand-Conseil, la coalition Ensemble à gauche, sur proposition de solidaritéS, a lancé une initiative populaire en vue de modifier la taxation du bénéfice des entreprises. Celle-ci passerait du taux fixe au taux progressif en vue d’imposer davantage les superprofits. Explications.

La rade de Genève la nuit
Dans le canton de Genève, 41 % des bénéfices sont réalisés dans le négoce et les services financiers.

La volonté des milieux néolibéraux de limiter, voire de supprimer la progressivité de l’impôt, est connue. Par exemple, seuls 18 % des recettes actuelles de la Confédération proviennent d’une imposition progressive (impôt fédéral direct des personnes physiques) alors que les impôts indirects (TVA, droits sur les carburants, etc.) représentent 46 %. Quant à l’impôt sur le bénéfice des entreprises, il est basé sur un taux fixe, c’est-à-dire ne tenant pas compte de la capacité économique de celles-ci.

Au niveau cantonal, l’impôt sur les personnes physiques est basé sur un taux progressif, variable selon les cantons. Mais en ce qui concerne les personnes morales – les entreprises – la plupart d’entre elles appliquent un taux fixe. Ainsi une entreprise réalisant un bénéfice de 50 000 francs sera taxée avec un taux identique à l’entreprise qui engrange un bénéfice de 50 millions.

Une taxation progressive jusqu’en 1998

Partant d’une réflexion autour des superprofits réalisés par certaines entreprises à l’occasion de la guerre en Ukraine et de la crise énergétique, solidaritéS Genève, dans le cadre de la coalition Ensemble à gauche, a décidé de revoir les taux de taxation des bénéfices et de lancer avec ses partenaires une initiative intitulée « Taxation plus juste des superprofits ».

Ce texte propose de revenir à un système de taxation progressif, comme cela était le cas jusqu’en 1998. Il s’agissait à l’époque d’une progressivité qui tenait compte de l’intensité de rendement, à savoir du rapport entre le bénéfice imposable et le capital de l’entreprise. Plus le bénéfice était élevé par rapport au capital, plus le taux augmenterait. Jusqu’à 14 % (taux de base sans les centimes additionnels cantonaux et communaux). 

En 1999, au prétexte de corriger certains défauts de l’intensité de rendement, le Grand Conseil a adopté le principe du taux fixe à 10 %. Ce qui permettait une taxation uniforme des bénéfices à 24 % compte tenu de l’impôt fédéral et des centimes cantonaux et communaux. Au gré des révisions de l’imposition des entreprises puis de l’adoption de la RFFA,  le taux s’est réduit à environ 14 %, soit une baisse de 10 points de pourcentage par rapport à 1998 !

La Constitution genevoise prévoit au chapitre de l’impôt un certain nombre de principes qui régissent le régime fiscal, dont la capacité économique. La taxation actuelle des entreprises ne respecte pas ce principe avec un taux de base uniforme fixé à 3,33 %. L’initiative introduit donc un taux progressif qui démarre à 1 % et se termine à 4,75 % pour les sociétés de capitaux et commence à 2,8 % pour plafonner à 6,8 % pour les associations et fondations. 

Notons que les sociétés de capitaux représentent le 94 % des entreprises imposées en 2019. Ainsi avec ce nouveau barème, les entreprises réalisant un bénéfice imposable jusqu’à 100 000 francs verront une baisse de l’imposition et les autres une hausse d’impôts. 

Les estimations réalisées sur la base des données fiscales de l’année 2019 concluent à des recettes fiscales nouvelles de l’ordre de 450 millions qui permettraient de contribuer aux besoins en matière sociale, environnementale, d’éducation, etc. Mais au-delà des recettes nouvelles, c’est l’ancrage de la progressivité de l’impôt pour les personnes morales que cette initiative défend, à contre-courant des tendances actuelles.

Quelles entreprises paient des impôts ?

L’analyse des données fiscales de l’impôt sur les personnes morales de 2019 (dernière année complète disponible) montre que :

  • 62 % des entreprises du canton ne paient aucun impôt sur le bénéfice ; 
  • 93 % des entreprises qui paient l’impôt sont actives dans le secteur tertiaire ;
  • 41 % des bénéfices nets sont réalisés dans le commerce de gros (négoce international pour l’essentiel) et les services financiers (banques, assurances). 

Le total des bénéfices nets imposables déclaré s’est élevé à plus de 55 milliards. En sachant que la même année le PIB du canton de Genève s’élevait à 57 milliards on imagine aisément qu’une part importante des bénéfices provient d’activités hors du canton de Genève « rapatriée » dans le canton, non pas à cause de la beauté du Jet d’eau mais de la douceur de l’imposition. 

L’impôt sur les personnes morales a rapporté un peu plus de 2 milliards en 2019 (impôt cantonal et communal) dont 78 % provient de l’imposition des bénéfices et 22 % de l’impôt sur le capital.

Nous invitons les lecteurs·rices du journal qui disposent du droit de vote cantonal à Genève à signer et à faire signer cette initiative.

Bernard Clerc