Les pédales et leurs ami·es entre les révolutions

Quand les droits des personnes LGBTIQA+ sont en danger, il est important de se rappeler que nous avons déjà été illégales. Dans son roman mythique, réédité à l’occasion du 50e anniversaire des émeutes de Stonewall, Larry Mitchell nous invite à réinvestir la force révolutionnaire de nos existences.

Illustration du livre Les pédales et leurs ami·es entre les révolutions
L’une des illustrations du livre
Ned Asta

« Buvons en l’honneur des vieilles pédales qui étaient là et dont la simple présence a tout rendu possible »

Ces dernières années, le camp réactionnaire réaffirme sa haine contre les personnes queer et les libertés que nos combats revendiquent. Les prochaines années seront dures pour les plus marginaliséxes d’entre nous. Pour survivre à la remise en question de nos droits et de nos existences, il sera nécessaire de réfléchir à la manière dont nous voulons faire communauté, et de prendre conscience que les démocraties bourgeoises et patriarcales, et les fascismes qu’elles engendrent, ne laisseront pas d’espace pour nos fiertés et nos besoins de justice et d’égalité. Nous aurons aussi besoin de rêver. 

C’est ces trois questions qu’explore déjà Larry Mitchell en 1977, lorsqu’il publie Les pédales et leurs ami·e·s entre les révolutions. Le récit est tiré de son expérience queer des années 1970. Pendant des décennies, il s’est transmis de main en main et a alimenté nos imaginaires collectifs, avant d’être traduit en 2019. Loin d’être seulement un ouvrage historique, son contenu est toujours d’actualité et a beaucoup à nous apprendre. 

Tout commence dans la cité de Ferule, où le déclin de l’empire capitaliste de Ramrod est particulièrement visible…

« La nuit lorsqu’elles sont invisibles, les pédales se souviennent de la liberté. » 

À Ramrod, comme dans toute société patriarcale, les pédales (expression péjorative désignant les hommes homosexuels, réappropriée par ceux-ci. Les pédales sont genrées au féminin dans le récit, un choix de traduction lié au fait que les hommes gays y sont décrits comme exclus de la catégorie des hommes) et leurs ami·e·s sont interdites et tout est organisé par et pour les hommes, qui gouvernent et exploitent pour accumuler de l’argent. Au sein de cette société absurde et répressive, certainxes tentent de survivre, de s’aimer et d’imaginer la révolution. 

Les pédales sont précaires et illégales. Elles vivent en communautés, font de l’art, ont des relations sexuelles et attendent sans trop y croire la prochaine révolution. 

Les femmes fortes sont les amies des pédales. Féministes, elles portent l’espoir et la sagesse révolutionnaire auprès de celles-ci. Les reines (queens) refusent de se cacher et vivent donc la violence des hommes de plein fouet. Elles vivent parmi les décombres de la cité à moitié détruite et se moquent des déguisements portés par les pédales pour se fondre parmi les hommes. 

Les femmes qui aiment les femmes encouragent les pédales dans leurs actions dissidentes et ressemblent parfois aux femmes fortes ou aux pédales. Elles sont donc interdites pour faciliter la répression. Les fées vivent en dehors du monde des hommes, dans des sanctuaires. Elles explorent une spiritualité païenne, et construisent une autre réalité, car elles savent que la Terre ne tolèrera plus les hommes longtemps. Les hommes tordus, eux, se cachent parmi les hommes et ne soutiennent pas activement les pédales et leurs ami·e·s, mais rêvent en secret que les hommes cessent de contrôler la sexualité de chacunxes, pour être libres à leur tour. 

Entre son hommage aux communautés queer, ses allégories grinçantes de nos sociétés et de leurs origines fascistes, et sous son allure de conte de fée, le récit raconte comment, au fil des rencontres et des expériences, les pédales réalisent que leurs existences sont par essence antifascistes, anticapitalistes et antipatriarcales. Ainsi, par-dessus tout, ce récit est un manifeste révolutionnaire. 

« Les femmes fortes ont dit aux pédales qu’il y avait deux choses importantes à retenir au sujet des révolutions à venir. La première est que nous allons nous faire botter le cul. La seconde est que nous gagnerons »

Larry Mitchell nous transmet des questionnements ayant ébranlé les communautés marginalisées, et nous rappelle l’importance de l’anti­-assimilationnisme dans notre Histoire collective. Ce mouvement revendique la nature révolutionnaire de nos existences, qui ont de tout temps effrayé les sociétés répressives. Il valorise les cultures créées dans les marges où sont reléguées les queer, les femmes, les raciséxes, les handicapéxes, les enfants, et beaucoup d’autres. 

Ce récit nous rappelle que nos luttes queer intersectionnelles ne peuvent pas se limiter à une série de droits à gagner pour que nos identités soient ignorées et accéder dès lors à une vie hétéronormative. Qu’au contraire, nos revendications queer sont des projets intrinsèquement déviants (traduction littérale de queer) et révolutionnaires. 

Dans la situation actuelle, les manifestes et rêveries de nos aînéxes queer nous invitent donc à réinvestir nos déviances, nos contre-cultures, nos imaginaires et nos alternatives politiques, à chérir nos rituels, à prendre soin des plus marginaliséxes d’entre nous, et à regarder un avenir où nous gagnerons enfin. 

SVR