Nos amours comme perspectives révolutionnaires
Nombre d’essais féministes analysant la manière dont les systèmes de domination influent sur nos rapports amoureux ont été publiés ou ressortis des placards ces dernières années, nous poussant à approfondir nos perspectives d’amours révolutionnaires.
L’autrice Costanza Spina écrit dans son article «Nous sommes à l’aube d’une révolution romantique intersectionnelle» que «S’aimer quand c’est la fin du monde est non seulement possible mais nécessaire, l’amour étant la force ennemie du capitalisme par excellence. […] L’Amour est donc l’acte de naissance de toute révolution pour plus de liberté et de justice sociale. […] Malgré le désespoir que les réactionnaires effarés voudraient nous inculper par leurs médias corrompus, nous sommes à l’aube d’une Révolution romantique intersectionnelle. […] Abdiquer du système, telle est la condition de la révolution de l’Amour. […] [Il faut] comprendre qu’aimer et prendre soin à l’heure du capitalisme effréné c’est avant tout désobéir sans relâche. »
L’amour comme sujet révolutionnaire
À mon arrivée dans le militantisme queer, j’ai commencé à réaliser et questionner l’importance de l’amour dans nos luttes. À réfléchir, aussi, mes propres relations, à observer les normes et influences extérieures, personnelles ou systémiques, qui y avaient encore une place sans que je le veuille. Trouver des sources sur ce sujet, pourtant omniprésent dans nos vies, a été compliqué : encore considéré comme sujet « féminin », l’amour n’est visiblement pas assez prestigieux pour être un sujet sociologique à grande échelle. Mais récemment, de nombreux écrits proposant diverses analyses de nos rapports amoureux ont été publiés ou sortis de l’oubli.
Donner sa place à ce sujet dans nos luttes est primordial. Tout d’abord car parmi cette grande variété de récits, il nous faut être légitimes de rappeler que l’utopie amoureuse est une utopie collective. Elle est un manifeste: nous ne voulons plus de drames, de solitudes, nous ne voulons plus que nos espaces amoureux soient des lieux de souffrance, d’oppression, ou de guerre contre les personnes minorisées.
La révolution romantique a pour base le constat que notre société est un terrain infertile à des amours en dehors de la domination, de par les profondes inégalités structurelles sur lesquelles elle repose, et demande de conscientiser le fait que nos conflits amoureux sont bien souvent liés à des rapports de forces nous dépassant.
Pour une révolution amoureuse intersectionnelle et profonde, nous avons besoin d’argent et de temps : comment prendre soin de nos relations quand nos conditions de vie sont instables et précaires ? Comment partager égalitairement nos charges mentales quand l’État capitaliste économise en exploitant les femmes, en faisant reposer sur elles le soin de leurs proches?
Nous avons besoin de temps et d’argent pour nous rencontrer, prendre soin les unxes des autres, pour nous aimer. Nous avons besoin de nouveaux modèles relationnels, de nouveaux contrats amoureux. Nous avons besoin de politiques massives de santé publique, d’un accès aux soins égalitaire et abordable pour tous les types de corps ; nous avons besoin de luttes collectives pour des politiques publiques réelles, transformatives et courageuses contre les violences sexistes et sexuelles.
Nous avons besoin d’amours pour faire des révolutions
Dans le militantisme queer, j’ai aussi découvert des espaces qui, constitués d’êtres traumatisés par les violences familiales, institutionnelles, médicales, coloniales et sexuelles, par la précarité, les parcours migratoires et l’exclusion sociale, étaient pourtant remplis de vie, de puissance, de tendresse : d’amour.
J’y ai réalisé que face à la crise écologique et économique, aux crises sanitaires qui se profilent, à la fascisation des démocraties, à l’extrême droite montante ; face aux inégalités persistantes, aux retours en arrière, à la terreur, à l’oppression, à la mort, nous luttons toujours par amour. Nous luttons par amour de la vie, de la nature, par amour de l’égalité et de la justice, nous luttons pour que le monde que nous laissons à nos enfants soit moins violent et en souvenir de nos ancêtres et de leurs luttes passées. Nous faisons la révolution pour construire un monde à l’image des enfants que nous avons été, où nous pourrons toustes profiter pleinement d’aimer et de vivre.
Ainsi, nous devons réfléchir et mettre en pratique des relations égalitaires, constructives et vivantes, où nos valeurs et émotions sont respectées et où nous n’avons pas besoin de jouer un rôle, car nos luttes ont aussi besoin d’amour pour être révolutionnaires.
Certainxes l’ont déjà compris: construire entre nous des liens forts d’amour, d’amitié, de camaraderie et d’adelphité, c’est déjà une manière de résister. C’est créer des espaces de vie nécessaires dans un monde rempli de violence, d’exploitation et de compétition. Des amours qui peuvent être des sources de vies incroyablement riches pour trouver la force et l’espoir de lutter.
SVR