Bouger avec La Poste. Merci, Christian Levrat!

La gestion de la Poste par son Président Christian Levrat exemplifie la trajectoire connue par de nombreux sociaux-démocrates et l’horizon politique laissé. Retour historique sur une casse d’un service public. Que peut-on attendre de mieux ? 

Christian Levrat
Christian Levrat lors du 1er Mai 2008. Il vient alors de quitter la présidence du Syndicat de la communication pour prendre celle du PS.

Plusieurs journaux – dont Le Courrier et Arcinfo (10.11.2023) ont publié un entretien avec le président du Conseil d’administration de La Poste, Christian Levrat. Dans un passé pas très lointain, celui-ci fut président du Syndicat de la Communication, vice-président de l’Union syndicale et président du Parti socialiste. Il a aussi ses bonnes œuvres, avec la présidence de l’UNICEF Suisse-Liechtenstein.

Dans cet entretien, Christian Levrat signale quelques mesures envisagées ou décidées :

  • la non-distribution des journaux avant 12 h 30 ; 
  • l’augmentation des prix (10 centimes supplémentaires pour les courriers A et B, 1,50 fr. supplémentaire pour les colis Priority et Economy, à partir du 1er janvier 2024) ;
  • la suppression de DMC, filiale chargée de distribuer les publicités et les journaux non adressés (décision pouvant impacter 3855 personnes, dont une grande majorité de livreurs·euses à temps partiel) ;
  • le rachat d’entreprises (229 millions de francs en 2021, 95 millions en 2023).

L’histoire d’une casse du service public

Depuis sa création en 1998, La Poste s’est employée à faire du bénéfice. Cela implique des attaques contre les prestations et les conditions de travail des employé·e·s (une taylorisation, qui se traduit par le chronométrage des tâches). Le PSS a fourni trois des cinq dirigeants de La Poste : Jean-Noël Rey (décédé en janvier 2016), Ulrich Gygi (devenu en 2008 PDG des CFF) et Christian Levrat. Selon une formule de l’ex-premier ministre français Laurent Fabius, ils « ont fait le sale boulot ».

Concrètement, entre 2001 et 2014, La Poste a fermé environ 1800 bureaux de poste (3400 en 2001, 1562 en 2014). Comme compensation, La Poste a ouvert 660 agences, installées dans des commerces et offert près de 1300 services à domicile. 

À l’appui de ces mesures, Christian Levrat invoque le changement réel des habitudes de la population (paiement internet, courrier électronique, SMS). La volonté de rester bénéficiaire se fait au détriment du lien social que La Poste – société anonyme de droit public – doit maintenir en garantissant un service public de proximité. Or, les luttes pour défendre des bureaux de poste menacés de fermeture se sont toujours heurtées à l’argument de la rentabilité et de l’efficience.

Rappelons qu’avant la séparation entre La Poste et Swisscom, le courrier postal (lettres et colis) était de facto déficitaire, l’équilibre budgétaire étant atteint avec les télécoms, grâce à une comptabilité commune. 

En 1996, dans le cadre de la libéralisation des services publics, le conseiller fédéral Moritz Leuenberger et le directeur des PTT, Benedikt Weibel – tous deux membres du Parti socialiste – ont impulsé la proposition de séparation des Postes, Télégrammes et Téléphones (PTT) en deux entités (loi fédérale du 30 avril 1997). Mais les 4 (!) référendums lancés par des syndicalistes (minoritaires) et des organisations politiques comme solidaritéS échouèrent (15 000 signatures récoltées), Moritz Leuenberger ayant trouvé des oreilles attentives dans les syndicats (dont Union PTT).

Quand l’ennemi m’applaudit…

Le numéro de novembre de Syndicom Magazine étant sous presse au moment de l’entretien du 10.11.2023, celui-ci n’a pas été commenté. Le syndicat annonce le début des négociations pour le renouvellement de la CCT de La Poste (échue en 2024). 

Quant à Christian Levrat, il a reçu les compliments d’une chroniqueuse fort à droite, Marie-Hélène Miauton, dans le journal Le Temps (12.11.2023). Celle-ci signe un billet perfidement titré: «Le président de La Poste découvre l’économie réelle», félicitant l’ex-syndicaliste et socialiste pour sa gestion capitaliste de La Poste. Englué dans son travail de gestionnaire, Christian Levrat a oublié ce constat du dirigeant social-démocrate allemand, August Bebel (décédé en 1913): «Quand l’ennemi m’applaudit, je me demande quelle bêtise je viens de dire».

Hans-Peter Renk

De La Poste aux CFF, un patron de combat

Concernant un prédécesseur de Christian Levrat, Ulrich Gygi (également membre du PSS), son arrivée à la tête des CFF ne fut pas accueilli avec joie par le Syndicat du personnel des transports (SEV). D’après une dépêche de la RTS (15.12.2008), «le Conseil fédéral a choisi un homme qui ne s’est pas particulièrement profilé jusqu’ici comme un protecteur du partenariat social et du service public […]. 

Le patron de La Poste s’est en effet à plusieurs reprises profilé comme un tenant de la libéralisation contre les intérêts du personnel de La Poste, indique le SEV. Il était notamment en conflit avec le Syndicat de la Communication parce qu’il voulait externaliser des catégories entières de personnel pour péjorer leurs conditions de travail».