Vieillir en Suisse en tant qu’étranger·ères

Entre précarité et risque d’expulsion

L’Observatoire romand du droit d’asile et des étranger·ères (ODAE romand) publie un rapport portant sur les personnes âgées étrangères en Suisse. Basé sur des témoignages, le rapport met en évidence le lien entre faibles revenus, statuts précaires et dégradation de la santé.

Portrait d'une personne immigrée à la retraite
«Je fais des nettoyages six jours par semaine quatre heures par jour, parce que ma retraite est trop basse.» Emanuela*, 73 ans

L’entrée dans la vieillesse engendre un risque de pauvreté pour toute une partie de la population. Pour les personnes immigrées, ce tournant du parcours de vie est souvent frappé d’une double peine: alors que de faibles revenus découlent souvent de statuts de séjour précaires, cette pauvreté engendre un risque de refus du droit de séjour, qui impacte à son tour l’accès aux droits sociaux. 

Système social inaccessible

Le système social suisse est complexe, et ses différents services collaborent peu. Les difficultés pour s’orienter dans les labyrinthes administratifs ou aux guichets virtuels se renforcent pour les sénior·es immigré·es qui cumulent les difficultés liées à la langue et à l’âge. Ainsi, même lorsqu’elles et ils auraient droit à des assurances ou des aides, certain·es se heurtent à des refus. Les plus vulnérables sont ainsi maintenu·es dans la pauvreté.

Pour beaucoup d’étranger·ères, demander un appui financier revient en plus à s’exposer à des risques d’expulsion. En effet, depuis 2019, une révision de la loi sur les étrangers et l’intégration (art.62 et art. 63) permet le retrait de permis de séjour pour la simple raison d’avoir recours à l’aide sociale. En conséquence, de nombreuses personnes sans passeport suisse et en situation de précarité n’usent pas de leur droit. 

Une situation qui entraîne des risques de grande pauvreté, la dégradation de l’état de santé et des relations sociales.

Cumul des discriminations

Nombre de permis de séjour dépendent du fait d’avoir un emploi rémunéré. Ainsi, travailler à la maison signifie être dépendant·e de son ou sa conjoint·e pour le maintien de son permis. Une séparation est alors plus difficilement envisageable. Cette situation touche en particulier les femmes et les minorités de genre étrangères, plus souvent exclues du marché de l’emploi rémunéré et qui se retrouvent dans des situations encore plus défavorables en vieillissant.

Par ailleurs, beaucoup de femmes immigrées qui travaillent dans l’économie domestique ont des salaires très bas ou non-­déclarés. Cela se répercute à l’arrivée à la retraite puisque la rente AVS se calcule sur la base des salaires déclarés uniquement: leurs rentes sont parfois trop basses pour en vivre. De plus, lorsque la Suisse n’a pas conclu d’accord de sécurité sociale avec un État, les ressortissant·es de ce dernier doivent patienter jusqu’à 10 ans de séjour légal avant de bénéficier des prestations complémentaires. 

Ainsi, nombre d’employées de l’économie domestique sont contraintes, malgré leur âge et leur état de santé, de continuer à travailler.

Portrait d'une personne immigrée âgée
«J’étais trop vieux pour trouver du travail. Maintenant, je n’ai pas le droit à la retraite.» Ghazi*, 73 ans

Statut quo sans issue

L’AVS représente une forme d’autonomie financière qui permet aux personnes ayant un permis F (admission provisoire) d’obtenir un permis B. Lorsqu’elles n’ont pas d’emploi, les personnes avec ce statut ne cotisent pas à l’AVS. Certains cantons versent, à leur arrivée à l’âge de la retraite, une cotisation leur permettant de quand même percevoir une rente AVS. Mais ce n’est pas le cas de tous. 

Pour les personnes déboutées de l’asile ou sans statut, seule l’aide d’urgence est proposée. Celle-ci est généralement de 10 francs par jour, en plus de l’hébergement collectif et de l’accès aux soins de base. Ces personnes n’ont pas le droit de travailler et ne peuvent donc pas cotiser à l’AVS. Se retrouver à l’aide d’urgence condamne les sénior·es à une pauvreté sans issue et à vivre leurs années de vie restantes dans la peur du renvoi.

La dignité des personnes âgées immigrées: un enjeu de société

Ces différents obstacles à l’accès aux droits sociaux ou au renouvellement des permis de séjour ont tous pour conséquence des atteintes à la santé des personnes. D’abord sur le corps, avec parfois l’obligation de travailler encore bien après l’âge de 65 ans, quelle que soit la pénibilité de l’emploi. Pour la santé psychique ensuite, avec un stress induit par cette précarité tant sur le plan économique que sur celui du droit de séjour, qui affecte le bien-être des personnes sur le temps long.

Des personnes, qui ont pourtant contribué à la société, à qui il serait grand temps de reconnaître le droit à poursuivre une existence dans la dignité.

Aude Martenot

Rapport disponible sur odae-romand.ch. Il est accompagné d’une exposition de photographies itinérante (dates et lieux sur le site).

Une personne immigrée en Suisse vue de dos
«Lorsque nous avons dû quitter notre appartement, on nous a conseillé d’aller au service social demander de l’aide pour être relogé. Réponse: « Nous ne traitons pas les problèmes des personnes à l’AVS ».» Paul*, 79 ans