Des armes au lieu de crèches

Karin Keller-Sutter et Viola Amherd
Karin Keller-Sutter (finances) et Viola Amherd (armée), à l’issue de la première «Table ronde sur les finances fédérales», Berne, 9 septembre 2024
DFI

Depuis deux ans, un large consensus existe au sein du patronat suisse et de ses relais politiques – l’UDC, le PLR et le Centre – pour augmenter massivement les dépenses militaires d’ici 2030: d’environ 5 milliards de francs actuellement, à 9 ou 10, certain·es prônant même 15 milliards.

La bourgeoisie helvétique veut faire exploser les dépenses d’armement pour quatre raisons. Premièrement, dans cette période de quasi-stagnation économique, cela fournira de juteuses commandes à l’industrie suisse ; Ensuite, comme une partie importante des achats sera passée auprès de l’Union européenne et des États-Unis, ceux-ci pourront servir de monnaie d’échange afin d’obtenir des concessions sur d’autres plans, notamment économique ; Plus généralement, dans le cadre de la promotion du militarisme par l’Union européenne, sous prétexte de l’infâme guerre menée par la Russie contre l’Ukraine, la bourgeoisie helvétique ne veut pas apparaître comme un «ventre mou» au cœur de l’Europe ; Enfin, il s’agit de remilitariser la société et les esprits suisses, surtout parmi les jeunes. 

Comment financer cette explosion des dépenses militaires? C’est ici que les associations patronales, les partis bourgeois et le Conseil fédéral (sociaux-­démocrates compris) jouent leur sinistre comédie habituelle.

Acte I, on hurle à la catastrophe: «Il n’y a plus d’argent, les déficits et la dette vont s’envoler, la Confédération court à la ruine». Tromperie sur toute la ligne! D’abord, ce sont les mêmes qui vident systématiquement les caisses de l’État en diminuant les impôts sur les riches et les entreprises. Ensuite, lors de la débâcle de Credit Suisse en mars 2023, le Conseil fédéral et la BNS ont mis 209 milliards sur la table pour stabiliser la place financière suisse. Enfin, les chiffres sont clairs: entre 2007 et aujourd’hui, le niveau d’endettement brut de la Confédération a diminué – en dépit du covid! – passant de 21% à 18% du PIB. Une situation idyllique en comparaison internationale.

Acte II, pour se donner des apparences de légitimité, le Conseil fédéral nomme un groupe d’«expert·es» aux ordres, composée de quatre néolibéraux purs et durs – lesquels plaident depuis des années en faveur de l’austérité budgétaire – auxquels on a ajouté l’inévitable caution sociale-démocrate. Le 5 septembre dernier, ledit groupe publie ses conclusions qui – quelle surprise! – correspondent quasiment à la virgule près à ce que le patronat réclame depuis ce printemps: un paquet de 60 mesures d’économie pour un total de 5 milliards.

Acte III, le 20 septembre, le Conseil fédéral annonce un programme d’austérité pour 2027. Ce programme reprend 90% des propositions du groupe d’«expert·es» et consiste, pour l’essentiel, à couper dans les dépenses sociales et écologiques: suppression de la subvention fédérale pour les crèches (près d’un milliard de francs) ; diminution des dépenses pour l’asile et l’aide au développement des pays pauvres (800 millions) ; baisse des contributions à la politique de lutte contre le réchauffement climatique (400 millions) ; restriction des subsides pour l’AVS et l’assurance-maladie (400 millions) et ainsi de suite.

L’acte IV aura lieu au Parlement où la majorité bourgeoise ne modifiera sans doute pas substantiellement ce programme.

Il sera important de se mobiliser contre ce énième plan d’austérité et de former une coalition de toutes les forces décidées à le combattre, dans les urnes évidemment, mais aussi dans la rue.

Sébastien Guex