Service public: le primaire se mobilise

Service public: le primaire se mobilise

En mai dernier, les enseignant-e-s sont massivement descendus dans la rue lors des grèves de la fonction publique et des mobilisations du Cartel. Parmi eux, les enseignant-e-s du primaire étaient fortement représentés. A la veille de la rentrée des classes, après les coupes budgétaires dictées par la majorité de droite du parlement, nous nous sommes entretenus avec Olivier Baud, président de la Société Pédagogique Genevoise. (réd)

Quel bilan tires-tu des mobilisations de mai du point de vue du secteur de l’enseignement primaire?

Je n’avais pas vraiment de doute quant à la forte mobilisation des enseignantes et des enseignants du primaire. Nous nous trouvons en effet dans une phase où il est impératif pour le secteur primaire de remontrer sa position centrale dans le monde de l’enseignement. Trop souvent, on a tendance à considérer les premiers degrés comme négligeables, alors que la formation de futurs citoyens, d’individus capables de vivre en société, commence dès le plus jeune âge. Ce dénigrement courant du primaire a donc, sans aucun doute, contribué à la mobilisation importante que l’on a vue. Le 4 mai, environ 60% des classes du primaire ont suivi le mot d’ordre de grève d’une demi-journée. Et ce qui est inédit, c’est que le 24 mai, la mobilisation était identique, sur une journée cette fois. Cette mobilisation exemplaire des enseignant-e-s du primaire est d’autant plus remarquable qu’elle représente des fortes retenues sur les salaires, de l’ordre de 500 à 600 francs pour chacun-e.

Le succès de ces mobilisations de juin s’explique également par le fait que nos revendications n’avaient pas uniquement trait à des questions pécuniaires. Ce sont les moyens concrets au bon exercice de notre métier qui sont aujourd’hui remis en cause et que nous voulons défendre. Avec 25 enfants par classe en enfantine, les enseignant-e-s ne peuvent pas remplir correctement leur mission. On oublie trop souvent qu’une de nos tâches est de compléter l’action éducative de la famille. Cet aspect essentiel de notre travail est aujourd’hui mis à mal par les coupes répétées dans le budget de l’enseignement. Les moyens par élève ont diminué de 30% en 10 ans! Or, sans moyens adéquats, l’école piétine.

Un aspect important des mobilisations de juin a été le soutien du GAPP…

En effet, ce soutien des associations de parents d’élèves au mouvement de la fonction publique a été déterminant. Je suis persuadé que l’école se fera avec les parents ou ne se fera pas. On ne peut pas prétendre compléter efficacement l’action éducative des familles, si on n’est pas partenaires avec les parents.

Il peut évidemment y avoir des points de vue différents, voire divergents entre les parents d’élèves et les enseignants sur certaines questions, mais plus on travaillera ensemble, mieux on se comprendra et on se connaîtra. Ces synergies entre les enseignants et les parents d’élèves sont par exemple essentielles dans le cadre du débat autour de l’initiative de l’ARLE1.

Comment les enseignant-e-s du primaire perçoivent-ils l’articulation de leur mouvement avec celui plus général de la fonction publique?

Il y a sur cette question une grande diversité de représentations chez les enseignant-e-s. Mais il ressort de cette forte mobilisation que les enseignants entendent défendre leur statut d’acteurs sociaux particulièrement importants. Tous les autres fonctionnaires remplissent un rôle important pour offrir à la population des services publics performants, mais il ne faut pas oublier que les enseignants travaillent au jour le jour avec nos enfants, qu’ils remplissent une mission éducative essentielle. Une société qui a mal à son école est une société en danger. De ce point de vue, il est essentiel de garder à l’esprit la valeur du travail fourni par les enseignant-e-s, ce d’autant plus que la mission éducative est de plus en plus complexe.

On en revient finalement toujours à la question des moyens. Si nous voulons nous donner, collectivement, un objectif ambitieux, qui serait par exemple de faire en sorte que d’ici 5 ans, 95% des élèves aient véritablement acquis les bases nécessaires à poursuivre le parcours de leur choix à la sortie de la scolarité obligatoire, il faut allouer des moyens conséquents à l’instruction publique. Or, la politique des «caisses vides» mise en place par l’actuelle majorité ne permet évidemment pas de se donner les moyens d’avoir une école de qualité. Il est dramatique de constater qu’aujourd’hui il y a une déconnexion entre impôts et prestations dans l’esprit de bien trop de gens. Mais quand les conditions d’enseignement se dégradent faute de moyens suffisants, peut-être que la majorité de la population comprendra qu’il est dans son intérêt de taxer un peu plus les grosses fortunes, plutôt que de baisser les impôts…

Comment vois-tu la rentrée scolaire cette année?

Normalement, nous devrions avoir, pour le primaire, un taux d’encadrement de 17 élèves par enseignant (enseignant-e-s spécialisés compris), ce qui représente environ 21 élèves par classe. Pour cette rentrée, si on voulait respecter ce taux d’encadrement, il aurait fallu 14,5 postes de plus… Depuis 10 ans, ce ne sont pas moins de 100 postes de maîtres et maîtresses spécialisés qui ont disparu. C’est particulièrement grave, car les maîtres spécialisés complètent véritablement le généraliste et apportent un réel plus éducatif à l’enfant, sans parler du fait que chaque maître spécialisé est un regard convergent de plus sur les élèves.

Mais le grand perdant de cette rentrée scolaire est le post-obligatoire. Il y a cette année 477 élèves en plus pour… zéro enseignant supplémentaire! La conséquence est la suppression d’une heure d’informatique, d’une heure d’introduction à l’économie et au droit et de la cinquième heure de maths…

Comment vois-tu la suite?

L’école primaire doit à tout prix sortir des encombrements dans lesquelles elle nage actuellement. Dans cette perspective, il est essentiel que le contre-projet à l’initiative de l’ARLE l’emporte en votation populaire.

Au niveau romand, les mobilisations devraient prendre de l’ampleur, de manière coordonnée. Pour le 23 septembre, j’imagine mal que l’on ne fasse pas grève. Il serait positif que Vaud connaisse également un tel mouvement le même jour.

Entretien réalisé par Erik GROBET

  1. L’initiative de l’Association Refaire l’Ecole a été l’objet de trois articles dans les numéros 42, 43 et 44 de solidaritéS.