Amiante: une hécatombe annoncée
Amiante: une hécatombe annoncée
«Il est fort probable quen Suisse le nombre de cancers induits par lamiante ne se compte pas par dizaines comme laffirme la CNA ni par centaines mais par milliers». Cette estimation des auteurs de «Eternit: poison et domination. Une multinationale de lamiante» (PSO, Commission Ecologie et Santé, Ed.Veritas, Lausanne 1983) dil y a quinze ans, se vérifie dramatiquement en Suisse et dans les 21 pays où les frères Schmidheiny avaient étendu leur business de lamiante-ciment.
Lamiante et la Suisse : repères chronologiques1900 Lasbestose ou «amiantose» qui est une calcification pulmonaire est identifiée comme maladie professionnelle par le Dr Murray.
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La CNA (actuellement SUVA) qui interprétait la revendication de réduire le taux de fibres damiante dans lair en disant «Cest surtout à cause des pressions politiques» (Tribune le Matin, 21.1.1983) doit admettre aujourdhui qu«on risque même dobserver une augmentation» du nombre de décès (déclaration du porte-parole de la SUVA Henri Mathis in 24 Heures, 27.2.2002). En effet, le temps de latence entre inhalation damiante et apparition dun cancer étant de 20 à 40 ans, le nombre de victimes ne cessera daugmenter jusquà 2020, année correspondant au pic des importations damiante en Suisse comme le montre notre graphique. Dans les pays qui nont pas encore abandonné lutilisation criminelle de ces fibres, lhécatombe sera plus massive et durable. En France lestimation est de 50000 à 100000 morts dans les 20 prochaines années (Interview de lépidémiologiste Marcel Goldbert in Libération, 22.6.2001).
Eternit prétendait que lamiante était indispensable et irremplaçable, mais cette fibre cancérigène a pu être abandonnée vers 1990 ce qui a sauvé la vie de milliers de travailleurs en Suisse. Autant le patronat que la SUVA niaient la possibilité dinventorier les bâtiments floqués à lamiante, mais la grande majorité a pu lêtre en 1985, ce qui a protégé de nombreuses personnes bien que la tâche soit loin dêtre achevée. Aujourdhui, Eternit et la SUVA en particulier prétendent qu«il est impossible dévaluer le nombre de personnes qui ont été exposées»(24 Heures, 27.2.2002). Cette déclaration est mensongère et criminelle. Elle est mensongère car la multinationale Eternit qui assurait à titre privé à travers Amindus SA notamment le suivi médical de ses salariés possède leurs dossiers et a accès à la liste des personnes quelle a embauchées en Suisse et dans le monde, leur période dactivité et le genre de travail quils effectuaient, cest-à-dire le degré de risques auxquels ils étaient exposés.
Mais cette déclaration est aussi criminelle parce que les statistiques sur les maladies professionnelles en Suisse indiquent que plus de la moitié des décès ont été provoqués par linhalation de fibres damiante (officiellement à ce jour 700 décès en Suisse dus à lamiante, dont 45 chez Eternit); parce que la SUVA recense annuellement une cinquantaine de nouveaux cas de cancers de la plèvre et du péritoine et parce que tout médecin sait pertinemment que faute de diagnostic et de traitement rapide, la majorité des malades de lamiante mourront un ou deux ans après lapparition des premiers symptômes pathologiques.
Constatant que si à lusine Eternit de Niederurnen dans le canton de Glaris, ouverte en 1904, la SUVA à compté 45 morts, elle devra sattendre à compter de nouveaux cas parmi les 500 ouvriers affectés à la production de lusine de Payerne, ouverte en 1958 seulement, pour la plupart immigrés et dont seuls 20 détenaient un permis détablissement en 1988. Au cas où le suivi médical de ces travailleurs, des salariés et retraités, en Suisse et dans les pays démigration aurait été négligé, la SUVA devrait compter de nouveaux décès.
Il faut donc sattendre au pire mais surtout
ne plus attendre. Parmi les innombrables travailleurs exposés professionnellement tout au long de la chaîne de lamiante transport, manipulation, transformation, fabrication, projection damiante, déflocage et démolition la majorité a quitté la Suisse. Tous les travailleurs qui ont été exposés professionnellement à lamiante doivent être informés par leurs employeurs sur les risques quils encourent, être suivis médicalement, y compris après la retraite et être indemnisés pour les torts subis en cas de maladie. Cette tâche de prévention-réparation doit être accomplie par les autorités sanitaires
à moins quelles naient gardé leurs sales manies et puissent encore dire: «Nous sommes dépositaires des confidences de lindustrie. De ce fait la CNA est tenue à la plus grande discrétion vis-à-vis des syndicats et de lopinion publique» (Roland Richard, un des directeurs de la CNA, cité par Urs P. Gasche in «Le scandale Alusuisse», éd. den bas, 1982).
Hélas, ces sales manies semblent bien ancrées et les chiffres de la SUVA repris ici sont tous truqués à la baisse: si elle décompte annuellement une cinquantaine de décès dus à lamiante, M. Jacques Holtz, médecin du travail à lInstitut de Santé au Travail (IST) estime ce nombre à 200 (F. Kaestli, «Lamiante en questions», Ingénieurs et architectes suisses (IAS), n°18, 19.9.2001). En effet, nous savons que la plupart des travailleurs occupés au flocage des bâtiments, à la fabrication de lamiante-ciment ou ayant manipulé ces fibres pour tout autre produit, étaient immigrés. Nous savons aussi que la plupart dentre eux, sous la pression du chômage, ont dû retourner chez eux et ont de ce fait été «oubliés». Plus grave, nous savons que des travailleurs des succursales dEternit dans le monde ont été abandonnés, gardés dans lignorance ou, plus grave, induits en erreur sur leur état de santé par les propres médecins dentreprise (Voir la lettre de lAsociación de extrabajadores de Nicalit SA que nous venons de recevoir). Le capitalisme suisse sest débarrassé de ses «amiantés» en les réexportant. Mais à la différence des déchets toxiques ou radioactifs, nombre de ces «déchets» là peuvent encore parler: à nous qui sommes aux premières loges en Suisse de faire entendre leur voix.
Mais déjà les langues se sont déliées un peu partout dans le monde. Dernièrement, en Italie, 11 saisonniers ayant travaillé cher Eternit AG à Niederurnen dans les années soixante et septante sont morts de mésothéliome et une demande dentraide judiciaire a été déposée par lItalie qui exige de pouvoir consulter les documents de la société Eternit quelle soupçonne dhomicide par négligence. Comme on pouvait sy attendre, cette première requête a été rejetée pour vice de forme. Cest quEternit et la SUVA savent pertinemment que le nombre de plainte ira croissant au cours des années, que les demandes de dédommagement exploseront et que lItalie nest ni le seul pays dimmigration, ni le seul pays où Eternit a exposé des travailleurs à lamiante alors que tous les risques étaient connus depuis 1935 ou pour les plus dubitatifs, depuis 1962 (voir chronologie).
Le Nicaragua par exemple commence à aussi compter ses morts parmi les ex-travailleurs de Nicalit, usine ouverte près de Managua par Stephan Schmidheiny sous ETERNIT AG en 1968, rachetée par le même Stephan sous AMANCO AG en 1993 et qui cherche maintenant à revendre ce site totalement contaminé de San Rafael del Sur, où les travailleurs et la population voisine de lusine sont atteints par lamiante. Est-ce que Monsieur Stephan, «lapôtre du développement durable» (Bilan n°3, Mars 2002) daignera sintéresser à la «durabilité» de ses employés? Est-ce que Monsieur Stephan, promoteur de AVINA, Action Vie et Nature (sic) daignera sintéresser à la vie de ses 400 travailleurs de cette entreprise, sérieusement affectés dans leur santé, au sort des familles des 25 travailleurs déjà morts et à lassainissement de la nature à San Rafael del Sud contaminé par lamiante?
Toutes ces initiatives commencent à porter leurs fruits. En France, la Cour de cassation vient dadmettre que les ayant droits dune personne décédée des suites dune maladie professionnelle due à une «faute inexcusable» de lemployeur puissent obtenir réparation de leur propre préjudice moral mais aussi du préjudice moral personnel de la victime dans leur pays (S. Blanchard et M. Delberghe, «Les juges bouleversent les règles de la sécurité au travail», Le Monde 1.3.2002) . Voici un pas important vers la «réparation intégrale» des victimes en France. Mais quen est-il de celles vivant en Suisse où aucune plainte contre Eternit na encore été déposée, de celles immigrées ayant travaillé en Suisse ou pour des patrons suisses à létranger?
Le bras de fer a commencé: les patrons affûtent leurs arguments et les assurances constituent des fonds dindemnisation des victimes de lamiante. Les pertes du groupe helvético-suédois ABB sexpliquent en grande partie par les provisions nécessaires pour faire face aux plaintes déposées par les salariés américains victimes de lamiante (Le Monde 21.2.2002). Un milliard: la facture semble gigantesque mais le décompte est loin dêtre définitif. Par exemple, faute davoir été défloqué, des centaines de travailleurs occupés à déblayer sans protection respiratoire les ruines du World Trade Center à New York, ont été contaminés par les 50 tonnes damiante quil contenait encore. (Le Point, 8.11.2002).
Cest pourquoi nous terminons cet article par un appel urgent. Dans les années 70, la mobilisation de militant-e-s politiques et syndicaux appuyés par des scientifiques et journalistes engagés à réussi en quelques années à forcer Eternit à abandonner lamiante et les autorités à établir la liste des bâtiments floqués. Cette mobilisation sétant affaiblie, des milliers de bâtiments nont pas encore été assainis, des travailleurs ignorent à nouveau les risques de démolition douvrages contenant de lamiante et plus grave, les victimes de lamiante sont abandonnées à leur sort.
Nous devons reprendre la lutte et la mondialiser en nous associant aux travailleurs Italiens, Sud-Africains, Brésiliens, Nicaraguayens
pour exiger avec eux quEternit-Suisse rembourse sa dette.
François ISELIN
Celles et ceux qui désirent être informé-e-s, de cette longue campagne qui démare, peuvent nous faire part de leur intérêt en nous faisant parvenir leurs coordonées à ladresse du journal ou par e-mail à journal@solidarites.ch
Vous pouvez aussi soutenir financièrement les travailleurs de NICALIT en versant sur le CCP 10-25551-5 du Comité de soutien à lAmérique centrale – mention «Victimes de Nicalit»
Asociación de extrabajadores de Nicalit SA
Casa de Ernesto Briceño
San Rafael del Sur – Managua, Nicaragua
San Rafael del Sur, le 25 février 2002
Chers camarades et amis,
Nous anciens travailleurs de Nicalit, filiale dEternit Suisse au Nicaragua, nous nous sommes constitués en Association des EXtravailleurs de NICalit SA (AEXNIC) parce que nous avons été contaminés par lamiante et nous vivons des moments critiques. La maladie frappe un grand nombre dentre nous car nous avons dû travailler sans aucune protection. Nous réclamons de Nicalit SA qui appartient actuellement à AMANCO et dont les propriétaires sont suisses quelle nous indemnise pour la destruction de notre santé et les préjudices subis. En effet, tous ceux qui ont travaillé dans cette fabrique vont vers la mort par asbestose, fibrose pulmonaire ou autres maladies provoquées par lamiante. Cependant les responsables de lentreprise ne veulent pas reconnaître les causes professionnelles de nos maladies et refusent par conséquent dentrer en matière.
Cest pourquoi, nous vous demandons de tout coeur de nous appuyer pour que nos revendications légitimes soient prises en considération. Selon les médecins de lentreprise Nicalit, qui utilisent une tactique dilatoire, aucun de nous ne serait malade, ceci pour que nous nous épuisions et renoncions à réclamer ce qui nous est dû.
Nous aimerions garder le contact avec vous et travailler ensemble pour savoir comment nous y prendre. Nous sommes tous pauvres et avons besoin de vous pour résoudre notre problème. Suite aux contrôles de santé par des médecins de cliniques privées que nous avons consultés, il savère que les 450 ex-travailleurs de Nicalit de notre association seraient affectés.
Assurés de votre appui, de votre aide et de vos conseils, nous vous transmettons dores et déjà nos remerciements et vous saluons cordialement.
Le bureau de lAssociation AEXNIC