Violence contre les femmes: à quoi sert le droit
Violence contre les femmes
A quoi sert le droit
A linvitation du groupe féministe lausannois Bad Girls Go Everywhere et de lInstitut Juridique Féministe Suisse Pro FRI, Anne-Marie Barone a développé ce thème à loccasion dune conférence donnée à luniversité de Lausanne. Sujet qui demeure dactualité car, aujourdhui encore, il est toujours difficile dinvoquer la loi pour obtenir justice des agressions qui relèvent typiquement des violences faites aux femmes (violences sexuelles et conjugales notamment). Voici donc, très résumées, les réflexions quelle nous a livrées.
Les violences exercées contre les femmes ont été un des thèmes majeurs des luttes féministes des années 80. Lattention se focalise aujourdhui beaucoup plus sur la question de légalité. Mais il serait temps de reprendre le débat sur le fond et de mener une réflexion collective afin de définir la meilleure stratégie pour combattre ces violences. Quelle position adopter entre un réformisme faisant confiance à des aménagements fragmentaires et successifs, et un radicalisme prônant un changement fondamental de société?
Si les progrès que lon peut enregistrer en termes législatifs peuvent plaider en faveur de la première option, il est important dexaminer plus attentivement ces avancées afin den mesurer lampleur et den cerner les limites.
Les modifications du Code pénal de 1992 ont induit des changements. Ils ont aussi instauré une nouvelle logique avec le passage de la notion dinfraction «contre les murs» à celle dinfraction «contre lintégrité sexuelle». Ce nest plus au nom dune morale supposée universelle, mais bien au nom de latteinte à la personne de la victime, que lon sanctionne. Soulignons que cette évolution va dans les sens des revendications féministes. De même, la différence qui prévalait entre «attentat à la pudeur avec violences» et «viol» (au sens strict, cest à dire pénétration susceptible dengendrer une naissance) a été supprimée et désormais, contrainte sexuelle et viol sont passibles de la même peine.
En ce qui concerne le viol dans le mariage, il est maintenant poursuivi sur plainte alors que la loi organisait jusqualors son impunité.
On note aussi lintroduction du délit de viol en bande (jusquen 1992, la commission en bande ne constituait une circonstance aggravante que pour les atteintes aux biens).
Protocoles dinterventions
La Loi daide aux victimes dinfraction (LAVI 1993) a apporté une amélioration notable en conférant à la victime un statut et des droits (droit dêtre entendue par une personne de même sexe, dêtre accompagnée par une personne de confiance, etc.)
Le harcèlement sexuel a été identifié et reconnu: la notion et le terme apparaissent dans la jurisprudence à la fin des années 80, début 90.
Concernant la violence conjugale, la loi na pratiquement pas évolué mais lintroduction de programmes dintervention intégrée amène sa meilleure prise en compte à travers une coopération accrue des services sociaux et médicaux, de police et de justice, et la cohérence de leurs actions respectives (par exemple à Bâle et Zurich et en discussion dans dautres cantons, dont Genève).
Le privé est politique
Globalement, on constate donc une évolution du droit et des pratiques judiciaires sous la pression des rapports de force et de la lutte des groupes sociaux dominés. La place centrale donnée à la lutte sur les terrains juridique et législatif, de façon assez intuitive, il est vrai, par le mouvement féministe, a montré son efficacité à plusieurs égards. Elle a assuré une plus grande visibilité de la problématique des violences, a provoqué une remise en cause de la séparation traditionnelle entre sphères privée et publique en affirmant que «le privé est politique», enfin elle a su sappuyer sur le rôle symbolique de la loi pénale pour stigmatiser des actes relevant du délit.
Mais le droit nest pas neutre et universel, comme on se plairait à le penser. Et malgré ces évolutions, bien des inégalités persistent. Lexemple le plus flagrant en est la définition du viol dont la victime subit les conséquences. Le délit est constitué par la présence de deux éléments qui sont dune part lexistence dun acte sexuel et dautre part son obtention par la contrainte ou sans le consentement de la femme.
Or cest à elle non seulement dapporter la preuve de son propre non-consentement, mais encore de prouver que son agresseur en avait connaissance ou tout au moins quil pouvait en accepter lhypothèse. Ce qui revient à dire que le viol est envisagé prioritairement comme un acte sexuel plutôt que comme un acte de violence, fidèlement à un point de vue totalement masculin, diamétralement opposé au vécu des femmes.
Quel changement?
Le droit est un discours, un système fondé sur lindividualisation et nest pas en mesure dappréhender le phénomène dans sa dimension sociologique. La lutte sur le terrain juridique est certainement valide, mais forcément limitée, à moins de recourir à une analyse totalement nouvelle du droit et den repenser la fonction. Faute dune analyse féministe sur les rapports sociaux de domination, on peut craindre que les femmes vont continuer à être battues, violées et harcelées en dépit des réponses légales. La réalité que nous observons suscite le doute sur la capacité de la loi à combattre les violences contre les femmes, essentiellement par la condamnation symbolique quelle apporte. Les stratégies daide aux victimes déployées depuis quelques décennies ne masquent-elles pas cette impuissance en renonçant à sattaquer aux causes du mal pour se contenter den soigner les effets?
En guise de conclusion, Anne-Marie Barone se demande si le droit est de nature à changer la réalité des violences et sil ne serait pas judicieux de déplacer le combat sur le changement des rapports sociaux de sexe?
Elisabeth ROD-GRANGÉ