Précarisation des recettes et cadeaux au capital!

Précarisation des recettes et cadeaux au capital!

Le «Nouveau régime financier» (NRF) soumis au vote populaire le 28 novembre, n’a en fait… rien de très nouveau. Le gros des ressources financières de la Confédération provient de l’Impôt fédéral direct (IFD) et de la Taxe à la valeur ajoutée (TVA). En 2003, l’IFD a rapporté 12,4 milliards de francs et la TVA 17,2 milliards; ces recettes cumulées représentant plus de 60% des rentrées de la caisse fédérale. On le sait, l’IFD est un impôt progressif, en butte aux attaques constantes de la droite patronale, qui vise à lui substituer toujours plus le financement antisocial constitué par le recours aux taxes sur la consommation, antisociales et dégressives, dont avant tout la TVA, bien plus favorable aux riches que l’impôt fédéral direct.

Aujourd’hui, le NRF soumis en votation populaire ne modifie cependant pas – pour le moment – l’équilibre entre ces deux sources de revenu fédérales. En effet, la Constitution helvétique fonde le droit de percevoir et fixe les taux maximum, tant de l’lFD que de la TVA, et ces taux restent inchangés dans l’Arrêté fédéral soumis au vote. Mais la Constitution contient également deux dispositions limitant dans le temps la perception de ces impôts. Ainsi, les recettes de la Confédération – indépendamment des attaques politiques dont elles font l’objet en continu – sont structurellement et volontairement «précaires».

Epée de Damoclès

Ce statut «provisoire» du principe même de la perception d’impôts fédéraux, sans lesquels toutes les tâches sociales essentielles de la Confédération seraient impossibles à accomplir, a été reconduit et pérennisé, par l’Arrêté fédéral concernant le NRF soumis au vote populaire. Au parlement, la droite patronale a refusé qu’on en finisse avec cette précarisation volontaire des recettes de la Confédération et a plaidé pour sa reconduction. Pourquoi? Parce que, selon elle, «l’obligation de revoir régulièrement le régime fiscal contribue à freiner les dépenses.»1

Ainsi – au-delà de la politique des caisses vides (ou plutôt des caisses publiques vidées à coups de cadeaux fiscaux répétés aux riches) qui sert à justifier des coupes antisociales dans le budget fédéral – la droite entretient volontairement le spectre d’un tarissement total des recettes fédérales comme arme auxiliaire.

Cette menace est présentée cyniquement par le Conseil fédéral comme une mesure «démocratique», qui «permet aux peuples et aux cantons de s’exprimer régulièrement sur la fiscalité de la Confédération».2 Quant on a vu Hans-Rudolf Merz, au lendemain du refus le 16 mai dernier du paquet fiscal, reconduire à l’identique son programme d’austérité antérieur et qu’on a entendu le Conseil fédéral annoncer que les mesures du paquet fiscal refusé seraient resoumises en votation populaire sans modification notable, malgré l’avis clairement exprimé «du peuple et des cantons», on mesure le caractère démagogique de ce discours.

Aujourd’hui, le terme de la perception de ces recettes fédérales est fixé à 2006, le NRF prolonge simplement cette «date de péremption» en reportant l’échéance à 2020. Voter NON au NRF est d’abord une manière d’exprimer le refus de cette précarisation volontaire des finances publiques.

Au-delà de ce refus de principe, signalons encore deux «nouveautés» du NRF qui méritent un NON sec et sonnant. Elles concernent l’imposition directe des entreprises.

Cadeaux au Capital

Premièrement, le taux maximum de l’impôt que peut prélever la Confédération sur le bénéfice des personnes morales, fixé dans la Constitution, est réduit dans le NRF de 9,8% à 8,5%. Cette mesure est présentée comme une simple adaptation «technique». En effet, le taux effectif de cet impôt a été réduit en 1997 déjà, dans le cadre d’une «réforme» qui a représenté un cadeau fiscal aux patrons et actionnaires de centaines de millions de francs.

Aujourd’hui donc, on verrouille cette baisse dans la Constitution – considérée comme prospectus «rehaussant au passage l’attrait de la place économique suisse»3 – et on demande qu’elle soit confirmée en votation populaire. Bien entendu, cette «mise en conformité» du taux constitutionnel maximum et du taux d’imposition des entreprises «réellement existant» ne marche que dans un sens – à la baisse! Le taux de 8.5% inscrit dans la Constitution ne signifie en effet nullement qu’on ne baissera pas sans tarder l’imposition des sociétés. Au contraire, une baisse substantielle de l’imposition des bénéfices des entreprises (manque à gagner prévisible de quelques 100 millions pour la Confédération et 700 millions pour les cantons) est déjà dans le pipe-line fédéral!

Deuxièmement, au chapitre des personnes morales toujours, on a procédé à une autre soi-disant adaptation «technique»… il s’agit de la suppression pure et simple de la base constitutionnelle permettant l’imposition sur le capital et les réserves des personnes morales. En 1997 également, on avait renoncé à la perception de tout impôt à ce titre. Aujourd’hui, on nous demande de confirmer cette mesure, littéralement… en faveur du capital.

A gauche, nous disons NON!

Sur le plan national, tous les partis gouvernementaux, de l’UDC au PSS, mais aussi les Verts et bien entendu les Libéraux, appellent au final à voter OUI au NRF, comme ils l’ont fait ensemble au parlement à Berne. Pour notre part, solidaritéS, l’Alliance de Gauche à Genève, et la coalition «A gauche toute!» avec le Parti du Travail/POP appellent au NON.

Notre position manifeste à la fois notre refus global d’un «régime» financier injuste avec son recours massif aux impôts indirects (TVA), notre refus de la précarisation orchestrée des finances publiques, au nom de l’austérité antisociale et de la «compétitivité» de la place économique suisse, et notre refus d’avaliser – fut-ce a posteriori – les épisodes précédents du feuilleton scandaleux et permanent de l’allègement de l’imposition des bénéfices et du capital, au détriment des milieux populaires: salarié-e-s, bénéficiaires de prestations sociales, jeunes en formation…

Contre le «déficit social» toujours plus béant, il faut taxer les riches, c’est ça le «Nouveau régime» fiscal que nous voulons et pour lequel nous nous battrons!

Pierre VANEK

  1. www.parlement.ch, 02.078 Note de synthèse concernant les débats sur le NRF.
  2. Brochure officielle du CF destinée aux électeurs-trices en vue de la votation du 28.11.04.
  3. Infoplus No 28, Newsletter du DFF, oct. 2004.