Genève, le 9 novembre 1932, l’armée massacrait...

Genève, le 9 novembre 1932, l’armée massacrait…

Ce massacre bouleversa la scène politique genevoise, il allait aboutir pour la première fois, à l’élection d’une majorité socialiste au Conseil d’Etat, avec aussi de sérieuses répercussions en Suisse. Après la Deuxième guerre mondiale, il a été occulté, et il a fallu des décennies pour que la gauche, puisse faire ériger un monument commémorant cette tuerie. Pourquoi ce trou de mémoire?

Rappel des faits et du contexte. En Europe, la situation politique et sociale, sur fond de misère ouvrière et de luttes sociales violentes, voit monter les fascismes. La Suisse n’y échappe pas: le Front National de Rolf Henne comptera 25000 adhérents. Il n’y a pas d «exception helvétique», le «temps des passions» selon l’expression bon teint, est le prélude d’une danse macabre qui débouchera sur la Deuxième guerre mondiale.

A Genève, Geo Oltramare anime un fort mouvement fasciste, l’Union Nationale, inspiré par le dictateur italien Mussolini (docteur honoris causa de l’Université de Lausanne en 1937). L’U.N. a des centaines d’adhérents et remplit le Victoria Hall au cours de ses soirées!

A gauche, à côté des communistes et des anarchistes, la Fédération socialiste genevoise et son leader Léon Nicole dominent la scène. En novembre 1932, l’Union nationale joue la provocation et organise une «Mise en accusation publique» de Nicole et Dicker, leaders socialistes. L’existance même de «socialistes» à Genève est contestée par ces émules de Mussolini. En Italie, les militants socialistes sont en prison depuis longtemps. La gauche décide de réagir en organisant une contre manifestation.

Le gouvernement genevois, aux mains des bourgeois, ordonne à l’armée de rétablir l’ordre. Mesure que la plupart des villes suisses ont connue, et qui a déjà causé la mort de manifestants. En 1918, lors de la grève générale, le Conseil fédéral mobilisait plus de 80000 soldats pour mater 250000 grévistes. Début 1932 à Zurich, deux manifestants étaient tués par la police et 30 autres blessés!

Le 9 novembre, des milliers de manifestants se pressent à Plainpalais. La troupe se déploie, sortant de la caserne des Vernets toute proche. Des échauffourées éclatent en fin d’après-midi, la population tente de désarmer les soldats sortant de la caserne et se dirigeant vers la salle communale de Plainpalais, afin d’y assurer la tenue du meeting fasciste. Pris de panique et de haine, un officier fait tirer sur des manifestants inconscients du drame qui allait se jouer. Bilan de la tuerie: 13 morts et 80 blessés.

La colère populaire sera forte dans toute la Suisse. A Lausanne, une manif rassemble près de 12000 personnes. Alors que le parti communiste (dont le quotidien est interdit) et les anarchistes appellent à la grève générale, le PS et les directions syndicales s’y opposent. Ils proclament un jour de deuil pour le samedi 12 novembre: droit devant dans le calme et la dignité. La messe était dite!

Daniel KÜNZI