Palestine / Syrie / Ukraine
Comment lutter contre l’oppression et l’occupation?
Samedi 23 mars, avant la manifestation nationale pour la Palestine à Lausanne, s’est tenue une conférence organisée par la section vaudoise de solidaritéS. Celle-ci avait pour thème les liens existants entre les luttes contre les régimes réactionnaires et/ou d’occupation en Palestine, en Ukraine et en Syrie. Retours sur les interventions de Monira Moon, membre de BDS France, Nataliya Tchermalykh, membre du Comité Ukraine Genève et Joseph Daher, militant de solidaritéS Vaud.
Quelle est la situation en Syrie depuis le processus révolutionnaire enclenché en 2011; en Ukraine depuis l’annexion de la Crimée et la guerre du Donbass de 2014; en Palestine depuis 1948 et plus spécifiquement depuis le 7 octobre?
Depuis plusieurs décennies, les États occidentaux et les médias tentent de présenter Israël comme étant le seul État démocratique du Moyen-Orient, alors qu’il s’agit d’un État colonial et d’apartheid. Ces deux représentations différentes conduisent à deux interprétations du 7 octobre. D’un côté, un État souverain attaqué par une organisation terroriste et, de l’autre, un gouvernement colonial qui subit des attaques d’un peuple opprimé qui résiste. Une certaine lecture, même à gauche, consiste à voir ces dernières comme étant une réaction face à un gouvernement israélien d’extrême-droite. Or, comme l’a justement rappelé Monira Moon, la colonisation de la Palestine a également été menée par des gouvernements de gauche, notamment travailliste entre 1968 et 1977.
Le colonialisme, qu’il soit de droite ou de gauche, dépossède, tue, humilie. Le fait que le gouvernement soit d’extrême-droite ne rend que plus visible, dans les discours et les pratiques, le racisme et la colonisation.
Depuis le 7 octobre, les Palestinien·nes subissent ainsi une déshumanisation constante qui contribue à la légitimation de leur génocide. Le ministre israélien de l’Énergie, Israël Katz, a ainsi clairement indiqué ce qu’il souhaitait faire des populations civiles de Gaza, leur couper tout simplement les vivres. Ce qui est constitutif, avec l’intention, du crime de génocide. La plainte de l’Afrique du Sud, bien que nécessaire, ne sera pas suffisante pour le stopper et seul un changement dans les rapports de forces politiques le pourra.
En ce qui concerne l’Ukraine, si la guerre impérialiste a commencé en 2014, avec l’annexion de la Crimée, Nataliya Tchermalykh a rappelé que l’impérialisme russe est aussi vieux que son homologue européen et remonte au 18e siècle. Au cours du 20e siècle, le masque du socialisme a permis de le rendre moins visible – pour certain·es – jusqu’en 1994, date de la première guerre de Tchétchénie.
En 2014, après la destitution du président pro-russe Ianoukovitch, la Russie a annexé la Crimée. Cela n’a pas découragé l’Europe qui a poursuivi ses importations d’hydrocarbures et les différents contrats qui la liaient à la Russie. En 2023, l’Ukraine n’a regagné qu’1% de son territoire occupé. Si l’aide internationale et les envois d’armes permettent à l’Ukraine de résister et de ne pas perdre, elle ne lui permet pas non plus de gagner la guerre.
En 2011, le processus révolutionnaire syrien a éclaté dans le sillage des autres soulèvements populaires régionaux débutés en Tunisie et en Égypte. D’abord populaire et pacifique, la révolution syrienne s’est peu à peu militarisée et a progressivement pris la forme d’une guerre civile qui s’est progressivement internationalisée avec les interventions de multiples acteurs régionaux et internationaux.
Le soulèvement populaire syrien a subi les assauts de plusieurs acteurs contre-révolutionnaires en commençant par le régime syrien despotique, suivi par les forces intégristes islamiques, et enfin les acteurs étatiques régionaux et internationaux. Tous s’opposent aux aspirations initiales des classes populaires syriennes pour la démocratie, l’égalité et la justice sociale.
Aujourd’hui, la Syrie est fragmentée entre diverses acteurs politiques: le régime de Bachar el-Assad contrôle à un peu moins de 70% du territoire syrien. Le nord-ouest est divisé entre l’occupation turque et le mouvement salafiste djihadiste de Hayat Tahrir Sham. Le nord-est syrien, quant à lui, est sous le contrôle de l’Autorité Autonome du Nord Est de la Syrie, dominé par les forces kurdes du PYD (le Parti de l’Union Démocratique).
Au-delà de la paix
Cette première partie de présentation des trois contextes a été suivie d’une discussion sur le rapport au concept de paix: que répondre à celles et ceux qui préconisent dans chacun des cas que «la solution, c’est la paix»? À l’inverse, pour nous qui soutenons les résistances populaires comme moyen de libération,quelles campagnes de solidarité concrète mettre en place? Que dire des actions de boycott et des sanctions, dans chacun de ces trois cas?
Pour les trois intervenant·es, l’enjeu n’est pas une paix superficielle, mais la justice. Les Israélien·nes disaient vivre en paix avant le 7 octobre. Depuis 1948, et même bien avant, il n’y a en revanche jamais eu de paix pour les Palestinien·nes. La colonisation a continué, même durant les processus d’Oslo. Dans le cas ukrainien, ce concept a été mobilisé par Poutine lorsqu’il a envahi l’Ukraine. Réclamer la paix maintenant signifierait légitimer l’invasion et reconnaître les territoires occupés par la Russie. Dans le contexte syrien et plus largement pour l’ensemble de la région, la demande de paix mobilisée par les classes dirigeantes européennes signifie surtout éviter de nouvelles «crises migratoires» et encourager des mesures pour lutter contre le «terrorisme», en favorisant les structures autoritaires.
Quant aux différents accords de normalisation entre Israël et les États arabes, ils visent à stabiliser la région afin de favoriser l’accumulation du capital et permettre la croissance des profits pour les élites régionales. Du point de vue de ces dernières, la question palestinienne leur pose de nombreux problèmes: les manifestations pour la Palestine sont généralement accompagnées de protestations contre leurs propres régimes et leurs politiques.
Quels boycotts?
En ce qui concerne les sanctions et les boycotts, les intervenant·es ont rappelé qu’il faut les penser en analysant finement les contextes et leurs effets sur les classes populaires.
Les sanctions visant les institutions militaires, les groupes armés, ainsi que les élites politiques et économiques participant aux massacres et répressions des classes populaires doivent être soutenus. Les sanctions globales occidentales envers la Syrie, qui contribuent à l’appauvrissement de la population doivent en revanche être critiquées et dénoncées. Elles ne permettent pas un changement de politiques du régime syrien et peuvent encourager une forme de division, à la fois sociale et politique, entre les Syrien·nes qui vivent dans le pays et celles et ceux qui vivent à l’étranger, empêchant la création d’une solidarité internationale.
Les campagnes comme BDS s’avèrent en revanche efficaces pour affaiblir économiquement et politiquement Israël, campagne que les États ont d’ailleurs appliquée d’une certaine manière envers la Russie. La plupart des entreprises qui étaient visées par BDS Palestine depuis des années ont directement fermé leurs enseignes en Russie aux premiers jours de l’invasion.
Les États soutiennent les sanctions en faveur de l’Ukraine, alors que BDS est criminalisé dans de ces mêmes pays. Or, les mesures prises contre la Russie pourraient s’avérer extrêmement efficaces si elles étaient appliquées à Israël. Par exemple, l’exclusion des banques israéliennes du système de paiement interbancaire SWIFT constituerait une arme efficace pour mettre à terre l’économie du pays.
Les sanctions contre la Russie n’ont cependant été que partiellement efficaces, le régime ayant pu les contourner et les éviter en partie. Pour qu’elles le soient, elles ne doivent pas toucher uniquement les oligarques, mais également les entreprises européennes basées en Europe. C’est par leur biais que la Russie a pu s’approvisionner. Le cas des biens à doubles usage – utilisables à la fois dans le domaine civil et militaire – exportés par des entreprises basées en Suisses et qui se retrouvent dans des armes russes est un bon exemple. Il est donc également nécessaire geler les avoirs des capitalistes suisses et européen·nes qui vendent des armes à la Russie.
Pour un internationalisme par en bas
Pour conclure, les trois intervenant·es ont rappelé la nécessité de soutenir l’autodétermination des peuples occupés et opprimés, par tous les moyens, indépendamment de l’oppresseur.
Plus généralement, la conférence partait d’un constat: celui du double standard entre la situation de l’Ukraine et de la Palestine. Double standard sur la qualification de la résistance et le droit à résister ; sur le soutien ou non à cette résistance par le biais de boycott, de sanctions et d’envoi d’armes, avec un soutien – insuffisant certes – envers le peuple ukrainien et, à l’inverse, un soutien idéologique, politique et militaire au régime occupant d’Israël.
L’une des explications à cet état de fait à tient à la nature des deux régimes occupants: Israël est le produit de l’Europe coloniale, nationaliste et raciste et joue un rôle central pour cette dernière dans la région, à la fois comme point d’appui géostratégique au Moyen-Orient et comme force contre-révolutionnaire contre toute tentative pour remettre en cause l’impérialisme occidental dans la région. La Russie, à l’inverse, est présentée comme l’ennemi historique des États occidentaux, et surtout agit comme un impérialisme concurrent.
Ce double standard se retrouve également dans les politiques d’asile, basée sur des critères raciaux: alors que les Ukrainien·nes ont été massivement accueilli·es – à raison – par les États européens et la Suisse, les Syrien·nes et les Palestinien·nes n’ont pas bénéficié des mêmes politiques.
Face à ce constat, se pose la question de la manière dont les forces de la gauche internationaliste interviennent. Une partie de la gauche, considérant hypocrite le soutien occidental à l’Ukraine (et surtout à une certaine Ukraine néolibérale et nationaliste) a ignoré les luttes et revendications des Ukrainien·nes de gauche, et plus largement des classes populaires ukrainiennes, tout en reprenant à son compte la propagande de l’État russe. Cette position campiste qui voit la Russie comme une force anti-impérialiste pose plusieurs problèmes. Cette grille d’analyse ne voit que les régimes et les blocs et oublie les classes populaires en lutte.
Ces régimes réactionnaires, qu’ils soient syriens ou russes ne peuvent en aucun cas être des alliés de la gauche internationaliste. Ils oppriment leurs fractions populaires, et bombardent celles de nationalités différentes.
La seule réponse possible de notre camp est l’internationalisme des peuples en luttes, contre celui des régimes autoritaires, qui malgré des intérêts parfois divergents se soutiennent mutuellement.
Enfin, il faut réaffirmer que nos soutiens ne vont pas aux dirigeant·es – groupes ou individus – qu’ils soient à la tête des États qui résistent comme Zelensky ou des mouvements comme le Hamas, mais aux peuples en lutte eux-mêmes. De plus ce soutien ne doit pas être sélectif. Le droit à la résistance aux peuples opprimés et occupés est un principe fondamental. Ce qui ne veut en aucun cas dire, d’une part, qu’il faut soutenir les projets politiques que ces derniers peuvent porter et, d’autre part, qu’il faut s’empêcher de critiquer, voire s’opposer – parfois vivement – à ceux-ci.
Que vive la lutte des peuples palestiniens, syriens, ukrainiens et de tous les autres !
Térence Durig