Palestine
De quoi Hamas est-il le nom?
Déjà considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis et de nombreux pays occidentaux, la diabolisation du mouvement islamique palestinien Hamas s’est intensifiée à la suite des actions armées du 7 octobre 2023, qui ont causé la mort de plus de 1100 individus. Quelles sont les origines de ce parti et comment s’est-il développé? Quelle est l’orientation politique et la stratégie du Hamas, ainsi que ses alliances régionales?

Toute critique sérieuse et honnête du Hamas ne peut être formulée qu’en partant d’une position qui s’oppose clairement à l’État d’apartheid raciste et colonial d’Israël et qui soutient l’autodétermination des Palestinien·nes, leur droit à la résistance et leurs droits fondamentaux contre l’occupation, comprenant la fin de la colonisation, l’égalité et un droit au retour garanti pour les réfugié·es.
Aux origines
Le Hamas, acronyme arabe de «Mouvement de résistance islamique», a été officiellement créé en décembre 1987, au début de la première intifada (soulèvement) palestinienne. Avant cela, les autorités d’occupation israéliennes ont initialement encouragé le développement des structures d’al-Mujamma al-Islami [organisation caritative islamique créée en 1973, ndlr] dans toute la bande de Gaza, en particulier ses institutions sociales et ses activités politiques.
Pour les forces d’occupation israéliennes, il s’agissait naturellement d’affaiblir le camp nationaliste et de gauche, en encourageant l’alternative islamique. En effet, cette organisation de façade des Frères musulmans (FM) avait opté pour une stratégie de non-confrontation envers les forces d’occupation israéliennes, se concentrant sur l’islamisation de la société.
La confrontation non-armée avec Israël a pris fin avec la création du Hamas en 1987, notamment sous la pression d’une partie de la base du parti, particulièrement de jeunes militants qui critiquaient l’absence de résistance à l’occupation. Le déclenchement de l’Intifada en 1987 a permis aux partisans de cette ligne de renforcer leur position au sein du mouvement.
La participation de la nouvelle organisation à l’intifada a été un grand succès. Le Hamas a intégré presque tous les membres du mouvement des FM en Cisjordanie et dans la bande de Gaza et a surtout commencé à attirer des adeptes et des sympathisants au-delà de cette mouvance.
Le développement du Hamas a également été stimulé par les événements régionaux tels que le boom pétrolier d’après 1973, qui a permis aux monarchies du Golfe d’augmenter leurs soutiens financiers aux mouvements fondamentalistes islamiques, dont à l’époque al-Mujamma al-Islami dans la bande de Gaza, et la création de la République Islamique d’Iran. Les dirigeants iraniens ont en effet soutenu l’orientation politique fondamentaliste dans toute la région, notamment le Hamas à partir du début des années 1990.
D’un autre côté, les mouvements fondamentalistes islamiques dans les Territoires Palestiniens Occupés (TPO) ont également bénéficié des revers majeurs de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), à commencer par l’échec de «Septembre noir» en 1970 et la violente répression du régime jordanien contre les forces palestiniennes, qui a conduit à leur transfert au Liban. L’expulsion des forces de l’OLP de Beyrouth vers Tunis en 1982 a encore affaibli le mouvement national palestinien. Son leadership, sa stratégie et son programme politique étaient de plus en plus remis en question.
À cela s’ajoutait la concentration croissante des activités de l’OLP, dirigée par le Fatah, vers la recherche d’une solution politique et diplomatique plutôt que vers la résistance armée. Cette stratégie était conforme à la dynamique politique issue de la guerre d’octobre 1973, qui avait ouvert la porte à un règlement politique avec Israël, comme pour l’accord de paix avec l’Égypte.
S’opposant à l’orientation de l’OLP, les dirigeants du Hamas ont soutenu la résistance armée, et le parti a joué un rôle significatif dans la première (1987-1993) et la deuxième intifada (2000-2005).
L’échec d’Oslo
Les accords d’Oslo de 1993 ont été de plus en plus largement perçus comme une capitulation totale de l’OLP face aux exigences d’Israël. La forte opposition du Hamas à ces accords lui a permis de gagner en popularité au sein des TPO. Dans le même temps, l’Autorité Palestinienne (AP) a été de plus en plus critiquée en raison de son incapacité à atteindre le moindre de ses objectifs, et Ramallah était de plus en plus accusée de corruption et de pratiquxes clientélistes. De plus, la collaboration sécuritaire de l’AP avec Israël a également été vivement dénoncée au sein de la société palestinienne.
Lors des élections législatives palestiniennes de janvier 2006, sous la forme de «Liste du changement et de la réforme», le Hamas a remporté la majorité des sièges, obtenant 42,9% des voix et 74 des 132 sièges. Les puissances occidentales et Israël ont réagi en imposant un embargo sur le gouvernement dirigé par le Hamas et en suspendant toute aide étrangère aux TPO. Les tensions entre le Hamas et le Fatah se sont intensifiées jusqu’au conflit. En juin 2007, le Hamas a chassé le Fatah de Gaza, tandis que l’AP prenait le contrôle total de la Cisjordanie. Cette répartition du pouvoir n’a pas changé depuis.
Parallèlement, le Hamas s’est considérablement renforcé militairement depuis la première incursion terrestre d’Israël lors de la guerre de 2008-2009, en partie grâce à ses liens croissants, comprenant un partage d’expertise militaire, avec les Gardiens de la révolution iraniens et le Hezbollah. Les affirmations des Brigades Ezzedine al-Qassam, la branche militaire du Hamas, quant au nombre de combattants prêts au combat sont difficiles à vérifier, la fourchette allant de 15 000 à environ 40 000. Si les Brigades disposent de roquettes fabriquées localement, les roquettes à longue portée proviennent de l’étranger, notamment d’Iran et de Syrie, en passant par l’Égypte.
Programme et orientation politiques
En 2017, le Hamas a publié sa nouvelle charte, remplaçant la première datant de 1988 qui était considérée comme caduque depuis de nombreuses années par ses principaux dirigeants. Le document contient des modifications majeures dans les orientations politiques principales du leadership du parti. Tout le contenu antisémite a été supprimé et la lutte contre le sionisme est désormais l’objectif du parti. Aucun lien avec les Frères musulmans n’est mentionné, au contraire de la première charte, alors que l’Islam reste son cadre de référence.
Dans le même temps, le parti islamique palestinien propose un programme politique implicitement en accord avec une solution temporaire à deux États, ce qui est conforme à de nombreuses déclarations des responsables du Hamas des dernières décennies approuvant une telle solution, correspondant au droit international.
Dans ce contexte, la comparaison entre Daesh et Hamas telle que préconisée par certains acteurs israéliens et occidentaux doit être totalement rejetée. Des organisations telles que Daesh ou Al-Qaïda présentent des différences dans leur formation, leur développement, leur composition et leur stratégie avec des partis politiques tels que le Hamas ou le Hezbollah libanais.
Le Hamas a par exemple participé aux élections et aux institutions héritées des accords d’Oslo, tout en acceptant la diversité religieuse de la société palestinienne. En revanche, les djihadistes comme al-Qaïda et Daesh considèrent généralement la participation aux élections des institutions étatiques comme non islamique et se tournent plutôt vers des tactiques de guérilla ou de terrorisme dans l’espoir de s’emparer à terme de l’État, tout en s’attaquant aux minorités religieuses. Des affrontements ont d’ailleurs eu lieu entre le Hamas et des groupes jihadistes salafistes dans la bande de Gaza depuis qu’il en a pris le contrôle.
Les tentatives d’Israël et des gouvernements occidentaux de présenter le Hamas, et plus généralement les Palestinien·nes, comme des terroristes similaires aux organisations djihadistes ne sont pas nouvelles. Après le 11-Septembre, la classe dirigeante israélienne a déjà décrit sa guerre contre les Palestinien·nes pendant la Seconde intifada comme sa propre «guerre contre le terrorisme».
Cela dit, l’orientation politique du Hamas ne doit pas être présentée ou qualifiée de progressiste. Le mouvement islamique palestinien promeut un programme politique et une vision de la société réactionnaires et autoritaires, et son règne de fer à Gaza est loin d’être démocratique.
Classe et économie politique
À l’instar d’autres partis fondamentalistes islamiques, la base populaire du Hamas n’est pas ancrée dans une seule classe. La résistance militaire du Hamas, couplée à ses réseaux d’organisations caritatives, basés sur les anciens réseaux des Frères musulmans et d’al-Mujamma al-Islami, et au mécanisme d’islamisation de la société, a permis au mouvement islamique palestinien de constituer une large base populaire, issue principalement des couches défavorisées des territoires occupés, tout en étant capable de maintenir des liens avec les forces traditionnelles bourgeoises, comme les commerçants aisés.
Le milieu social des dirigeants de la bande de Gaza, initialement composé majoritairement de petits-bourgeois et de classes moyennes inférieures, était historiquement plus propice à son expansion que les dirigeants de Cisjordanie issus d’un milieu social plus aisé, majoritairement bourgeois et d’élites traditionnelles, et liés à la monarchie jordanienne en raison de ses liens initiaux avec les FM jordaniens qui ont constitué un soutien fidèle aux dirigeants jordaniens pendant de nombreuses décennies.
Au niveau de ses dirigeants et cadres, l’une des caractéristiques majeures du Hamas est qu’une grande majorité d’entre eux ont un niveau d’éducation élevé et tendent à occuper des professions libérales. Il peut également exister chez un grand nombre d’employés du Hamas, en particulier ceux qui occupent des postes de direction au sein de l’administration gouvernée par le parti dans la bande de Gaza, une certaine mentalité « petite-bourgeoise » (même si la très grande majorité d’entre eux sont d’origine prolétaire), par le fait de devenir des cadres salariés, signifiant une certaine revalorisation sociale.
Plus généralement, et contrairement à d’autres mouvements fondamentalistes islamiques de la région, il est important de noter que le processus d’embourgeoisement de la direction du Hamas a cependant été plus limité. Ceci est lié aux limites que posent l’occupation israélienne et ses politiques de dé-développement à un processus d’accumulation de capital important dans les TPO, et plus particulièrement dans la bande de Gaza depuis l’imposition du siège en 2005. Les grands conglomérats palestiniens qui dominent l’économie en Cisjordanie sont en réalité principalement basés dans le Golfe. La stratégie économique de l’AP a d’ailleurs consisté à renforcer ceux-ci, tout en creusant les inégalités dans la société palestinienne.
Le Hamas, à l’instar des FM, soutient une économie basée sur le capitalisme et le droit à la propriété privée. Les sources de financement du Hamas expliquent son programme économique plutôt conservateur. Ses fonds proviennent de la République islamique d’Iran, du Qatar, de dons d’hommes d’affaires palestiniens de la diaspora et de la collecte de fonds effectués principalement dans les monarchies du Golfe, mais aussi dans d’autres pays comme la Turquie et la Malaisie, qui sont reversés au parti et/ou à des œuvres caritatives, institutions et projets de bienfaisance affiliés au Hamas au sein des TPO.
Autoritarisme et «sphère islamique»
Le règne du Hamas dans la bande de Gaza depuis 2007 a été marqué par le siège mortifère imposé par l’armée d’occupation israélienne, avec l’assistance du régime égyptien, ainsi que par les politiques répressives de l’AP en Cisjordanie, particulièrement contre les membres, organisations et institutions du parti ou liés à ce dernier, mais pas seulement.
Ces éléments ont bien sûr influencé la politique du mouvement, caractérisée par un certain degré d’autoritarisme et de répression. Dans le rapport 2022 d’Amnesty International, l’organisation de défense des droits humains a déclaré que «dans la bande de Gaza, un climat général de répression, suite à une répression brutale des manifestations pacifiques contre la hausse du coût de la vie en 2019, a effectivement dissuadé la dissidence, conduisant souvent à des formes d’auto-censure».
D’autres organisations palestiniennes ont également condamné les violations des droits humains commises par le Hamas, notamment les détentions arbitraires, la torture et les coups punitifs. Le parti islamique est également accusé de menacer les journalistes qui critiquent son gouvernement. De nombreuses protestations politiques publiques ont été réprimées, comme en juillet 2023, lorsque les forces de sécurité du Hamas ont réprimé un mouvement de protestation contre les coupures d’électricité chroniques et des conditions de vies difficiles, mais aussi contre la gouvernance lacunaire, la corruption et l’autoritarisme. Cette répression et des attaques de groupes armés «inconnus» ont également visé des institutions ou individus ne respectant pas la hala islamyya, ou «sphère islamique».
En même temps, le Hamas a poursuivi une politique renforçant un environnement islamique conservateur accompagné d’une plus grande politique d’islamisation de la société gazaouie, à travers son contrôle de l’administration publique, des organisations liées au mouvement et également par des mesures répressives. La diffusion de l’idéologie du Hamas à travers ses institutions et son réseau d’organisations est également un moyen pour consolider et reproduire son pouvoir sur de larges secteurs de la population palestinienne.
L’attitude du Hamas envers les femmes a évolué depuis sa création en leur octroyant davantage de place au sein du parti, mais toujours dans une perspective conservatrice islamique. Le Hamas encourage, par exemple, les femmes à poursuivre des études supérieures et à participer davantage à la vie publique, notamment au sein des activités du parti et des institutions à Gaza, mais dans le respect des « normes islamiques » telles que la ségrégation sexuelle et en favorisant principalement les emplois considérés comme une extension des rôles reproductifs des femmes, tels que l’enseignement, les soins infirmiers, etc. Le mouvement définit en effet la fonction première des femmes comme étant la «maternité» et, en particulier, l’inculcation des principes islamiques à la prochaine génération.

Stratégie et alliances régionales
En termes d’alliances politiques régionales, les dirigeants du Hamas ont cultivé ces dernières années des alliances avec le Qatar et la Turquie, ainsi qu’avec la République islamique d’Iran qui est son principal soutien politique, financier et militaire. L’aide annuelle de l’Iran au parti est estimée à environ 75 millions de dollars.
Plus généralement, le Hamas a assisté avec une inquiétude croissante à la conclusion des accords d’Abraham négociés par les États-Unis à l’été 2020 et à la poursuite de la normalisation des relations entre Israël et les États arabes. L’un des principaux objectifs de l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre était d’ailleurs de saper le processus de normalisation initié par Donald Trump et poursuivi par Joe Biden.
Ce contexte n’a donc fait que renforcer l’alliance cruciale du Hamas avec l’Iran – et donc le Hezbollah. Le Hamas n’est cependant pas une simple marionnette de l’Iran. Il dispose d’une certaine autonomie et des désaccords existent, comme la question syrienne ou de Bahrain l’ont démontré dans le passé.
Après le 7 octobre, le Hamas a réussi à se positionner, une nouvelle fois, comme l’acteur principal sur la scène politique palestinienne, marginalisant encore davantage une AP toujours plus affaiblie. Les derniers sondages menés dans les TPO le démontrent. Dans le même temps, la question palestinienne est désormais de retour à l’agenda israélien et régional.
Cependant, le parti islamique, tout comme le reste des partis politiques palestiniens, du Fatah à la gauche palestinienne, ne considère pas les masses palestiniennes, les classes ouvrières régionales et les peuples opprimés comme des forces sur lesquelles il peut s’appuyer pour gagner la libération. Au lieu de cela, ces partis recherchent des alliances politiques avec les classes dirigeantes de la région et leurs régimes pour soutenir leurs batailles politiques et militaires contre Israël. Plutôt que de faire avancer la lutte, ces régimes limitent leur soutien à la cause aux domaines qui font progresser leurs intérêts régionaux et la trahissent lorsque ce n’est pas le cas. L’objectif de l’Iran en soutenant le Hamas, ou le Jihad islamique, n’est pas de libérer les Palestinien·nes, mais d’utiliser ces groupes comme levier politique, en particulier dans ses relations avec les puissances occidentales.
Un positionnement clair critiquant les orientations politiques, sociales et économiques du Hamas ne devrait cependant pas empêcher la gauche, localement et internationalement, de soutenir la lutte palestinienne contre un régime d’apartheid, colonial et raciste soutenu par l’impérialisme occidental. Le soutien à une lutte légitime contre l’occupation étrangère doit être apporté quelle que soit la nature de sa direction. De même, nous ne condamnons pas les envois d’armes à la résistance palestinienne par des États autoritaires.
En conclusion, il est important de réitérer notre soutien au droit à la résistance du peuple palestinien, y compris à la résistance armée, sans confondre cette position de principe avec le soutien aux perspectives politiques des dirigeants ou des groupes politiques qui les dirigent, y compris le Hamas.
Joseph Daher
Version intégrale initialement publiée sur le site Contretemps ↗︎