Palestine
Israël
Le monde occidental s’isole dans son soutien à Israël
Deux essais récemment parus documentent les réactions politiquement contrastées vis-à-vis du génocide en Palestine à travers le monde. Chacun à leur manière, Didier Fassin et Enzo Traverso montrent en effet comment le monde occidental se recroqueville dans son soutien à Israël, au contraire du Sud global qui affiche de plus en plus ostensiblement son soutien au peuple palestinien.
Horrifiés par le traitement occidental dominant du génocide perpétré à Gaza, Didier Fassin et Enzo Traverso ont choisi de prendre leur plume pour tenter de remettre un peu de raison au milieu d’un paysage politico-médiatique englué dans la propagande israélienne et son orientalisme. Leurs écrits n’apporteront évidemment pas la paix en Palestine, mais ils synthétisent des réflexions utiles aux mobilisations occidentales en solidarité avec le peuple palestinien, pour tenter de faire exploser le consensus pro-israélien.
Chaque chercheur mobilise son expertise de longue date à cette fin – dans Une étrange défaite, Fassin construit effectivement autour de «l’inégalité des vies» tandis que Traverso inscrit Gaza devant l’histoire dans une réflexion au long cours sur l’histoire de la violence et sur les politiques mémorielles.
Les deux ouvrages ne se distinguent pas par leur originalité (ni l’un ni l’autre n’est véritablement spécialiste de la Palestine), mais plutôt par leur concision et le regard global qu’ils offrent.
Historiciser le génocide
Cela peut sembler relever de l’évidence, mais Fassin comme Traverso le rappellent d’entrée avec force: le massacre du peuple palestinien n’est pas une conséquence des seuls agissements du Hamas. Le récit médiatique dominant en Occident considère en effet que l’offensive israélienne contre la population gazaouie serait une «riposte» légitime à l’attaque le 7 octobre 2023. L’argument couramment repris du « droit d’Israël à se défendre » permet ainsi de faire de cette dernière l’élément déclencheur du génocide, en masquant la ghettoïsation de Gaza imposée par le régime israélien ces dernières décennies.
En remontant plus loin dans l’histoire, Fassin et Traverso rappellent que la création de l’État d’Israël repose notamment sur la Nakba, ce processus de nettoyage ethnique ayant conduit des centaines de milliers de palestinien·nes à l’exode. Depuis 1948, ce dernier n’a jamais pris fin, prolongé par la politique coloniale israélienne en Cisjordanie et l’opposition à tout droit au retour de la population palestinienne déplacée.
Le génocide en cours apparaît alors comme l’aboutissement d’une oppression s’étant graduellement aggravée depuis 75 ans. Le travail d’historicisation réalisé par les deux ouvrages permet d’exposer en quoi l’attaque du Hamas constitue bien un «acte de résistance» face au régime d’apartheid israélien, sans que cela ne consiste en un soutien à l’organisation ni à toutes ses actions – Traverso rappelle sans détour son idéologie fondamentaliste et réactionnaire.
Le consentement occidental à l’écrasement de Gaza
Les deux chercheurs sont toutefois conscients que leur appel à l’histoire, bien que nécessaire, n’est pas suffisant. L’occultation du caractère colonial de la politique israélienne depuis ses débuts n’est effectivement qu’une facette du «consentement [occidental] à l’écrasement de Gaza» dans l’espace médiatique et politique auquel Fassin s’attaque explicitement. Son double regard de médecin et de sociologue lui permet en effet de pointer «l’inégalité des vies» israéliennes et palestiniennes: les premières sont humanisées par l’abondante documentation de leur insécurité, tandis que les secondes sont systématiquement dévalorisées, voire déshumanisées par leur réduction à des chiffres qui s’accumulent. Fassin montre ainsi que le consentement du génocide ne prend pas seulement des formes actives le légitimant explicitement, mais qu’il passe aussi par des formes passives qui ne le remettent pas en cause.
Traverso documente lui aussi certaines de ces formes passives de consentement à l’écrasement de Gaza. L’historien discute par exemple la manière dont est manipulée la catégorie de génocide: ériger la Shoah en mètre-étalon de celle-ci conduit à dénier le caractère génocidaire de tout autre massacre pour lequel le terme est convoqué. Il faudrait que la destruction d’un peuple prenne les mêmes traits que l’organisation industrielle de l’extermination des juifs et juives d’Europe par le régime nazi pour pouvoir être qualifié de génocide aux yeux du monde occidental. Un tel massacre ne sera jamais reproduit à l’identique, alors Traverso invite à mettre à distance cette analogie historique trompeuse qui ne peut que minimiser l’éradication organisée d’autres peuples.
L’Occident contre le reste du monde
Si les pays occidentaux semblent consentir – activement et passivement – au génocide, ce n’est pas le cas du reste du monde. Traverso met effectivement en évidence la profonde fracture géopolitique qui se structure autour de la situation en Palestine. Entêté dans son soutien au régime israélien, l’Occident s’isole du reste du monde. Gouvernements et populations du Sud global soutiennent le peuple palestinien, par identification de leur position dominée commune – une boussole pour le mouvement internationaliste.
Antoine Dubiau