Camille s’en va de Thomas Flahaut

La rage au cœur dans un monde dévasté

Dans son troisième roman, Thomas Flahaut nous plonge dans un futur proche glaçant, où capitalisme et État policier se donnent la main, ravageant les êtres et les paysages.

Une manifestation dans la forêt du Mormont par des membres de la ZAD de la Colline

À la lecture du résumé, on retient des mots comme forêt, militants, résistance, on les met en relation avec le prénom du titre qui désormais évoque toutes les luttes, toutes les ZAD, et on se dit qu’on sera en terres amies, en militance romanesque et, mise en appétit, on court chez la libraire. 

Explosion et solitude 

Ensuite, le livre nous explose à la figure. L’auteur nous avait avertie à la première ligne «ça commence quand ça explose». Ça explose aux Verrières, ville imaginaire du département du Doubs, proche de la frontière suisse, qui hébergeait déjà les personnages du roman précédent (Les Nuits d’été) 1

Puis le livre nous brûle les mains, dans une vallée, «le Val», tout aussi imaginaire, quelque part entre la frontière italienne et Annecy, où la forêt a brûlé, intensément et longtemps. 

Jérôme vit dans cette vallée, dans le lieu-dit le Désert, une ancienne station de ski où souffle «ce vent-là, le vent de la montagne vide, qui fait tourner la centaine d’éoliennes. Plus rien ne vit dans cette vallée, si ce n’est les ombres tournoyantes de leurs pales dans la lumière rasante de la fin d’après-midi». Il y vit en ermite, en compagnie d’un âne, car il a perdu Camille. Il ne cesse de perdre Camille, sa presque sœur, parachutée dans sa vie enfantine solitaire aux Verrières, recueillie par le père de Jérôme suite au décès de ses parents. 

La résistance par bribes 

Car Camille résiste, lutte, toujours plus fort, plus loin. Ils avaient commencé ensemble, en donnant forme à leurs idéaux libertaires dans un mini groupe terroriste fondé avec Yvain, qui se prénommait Tony quand il était encore un ado comme les autres aux Verrières. 

Le trio squatte, manifeste, fait péter un peu, à Paris. Mais Camille disparaît, elle ne se contente pas de la maison rouge où défilent jeunes femmes et hommes révoltés et se réchauffent l’âme durant des nuits bavardes, enfumées et alcoolisées. Camille veut plus, Camille s’en va. 

On devine les ZAD, la résistance contre de nouvelles autoroutes ou la ligne de train à grande vitesse de trop. Elle réapparait brièvement, puis s’en va à nouveau, on devine Standing Rock. Un jour, c’est la disparition de trop, Jérôme apprend la mort de son père, leur père ; il ne cherche plus Camille et s’endeuille, pour longtemps. 

Pendant ce temps, une forêt, la Cingle, est défendue contre la voracité énergétique des hommes: scarabées et miliant·es d’un côté, tractopelles et BAC de l’autre. Ça tourne mal, il faut des cabanes dans les arbres pour l’ultime résistance. On contacte Jérôme, il fut étudiant en architecture du temps de la maison rouge, il saura transformer des palettes en cabane. Ça se termine mal, la chute est inévitable. 

À la recherche de Camille 

Dans le roman qui navigue dans les temporalités, le personnage principal est Jérôme qui reste quand Camille s’en va. Il reste sur ses questions sans réponses, reste à la lisière du monde, cherchant dans le passé l’impossibilité de son futur. Il est immobile même quand il est mobile, au volant de la Volvo sans âge de son père, traversant la France pour rejoindre Yvain qui lui, sait souvent où est Camille. 

Le dispositif narratif a ceci de particulier qu’on n’a pas un accès direct à Camille, on ne saisit sa rage qu’au travers du regard de Jérôme, un regard éteint et impuissant, à l’image du paysage.

Au fil de la lecture, on voudrait se dire qu’on tient entre ses mains un roman d’anticipation, on aimerait se réfugier dans le confort de l’adjectif «dystopique» (cet adjectif qui pullule partout depuis quelques années). On voudrait s’exclamer «non, mais il exagère!». 

Mais on sait que ce monde-là est en marche et que la «transition énergétique» fera tomber, dans la violence, des arbres et des Camille avec. Aucun apaisement, jamais, au fil des 284 pages, et une seule issue: «dans la nuit, avec les siens, disparaître»

Cornelia Hummel

1 J’ai tenté de chercher Les Verrières, je me suis même rendue à Les Verrières (Suisse), et sa voisine Verrières-de-Joux (France) mais la taille de ces villages ne correspond pas aux Verrières de l’auteur. Cette précision s’adresse à celles et ceux qui, comme moi, cherchent à situer les lieux des récits. 

 

Couverture du livre Camille s'en va de Thomas FlahautThomas Flahaut, Camille s’en va, Paris, Éditions de l’Olivier, 2024