France

Toujours plus de moyens pour la répression ?

L’Assemblée nationale a adopté le 22 novembre dernier,
par 419 voix contre 116, un projet de loi qui fixe les grandes orientations stratégiques et les moyens alloués aux forces
de l’ordre d’ici à 2027.

Beaucoup de policers entourent une manifestation à Paris
Manifestation contre la loi sécurité globale, Paris, 30 janvier 2021

La loi de programmation des forces de l’ordre, présentée par Mediapart comme la première grande loi sécuritaire défendue par Gérald Darmanin depuis le début du nouveau quinquennat, prévoit une augmentation du budget des forces de l’ordre de 15 milliards d’ici à 2027. La moitié de cette somme servira à la transition numérique. Elle prévoit aussi la création de 8500 postes de policiers·ères sur 5 ans avec un renforcement de la présence dans les zones rurales et périurbaines, une volonté d’améliorer les relations entre force de l’ordre et jeunes « des quartiers populaires » en les intégrant plus à la police nationale et la simplification de la procédure pour devenir officier·ère de police judiciaire. 

Un catalogue de mesures à rallonge

La loi prévoit également la mise en place d’une application « Ma sécurité » qui permettra aux citoyen·ne·s de déposer des pré-plaintes en ligne, mais aussi de signaler des potentiels lieux de vente de stupéfiants et la généralisation des caméras « piétons » et embarquées dans les véhicules de police.

Finalement, l’adoption de la loi permet l’élargissement des AFD (amendes forfaitaires délictuelles) – un dispositif qui autorise la police à proposer à une personne de payer une contravention pour échapper un passage devant un tribunal correctionnel – à 9 délits supplémentaires. Cette disposition a par le passé été vivement critiquée par la gauche du champ politique parce qu’elle ouvre la porte à des verbalisations arbitraires de personnes par les forces de police. 

Au cours des débats, des député·e·s de la NUPES ont d’ailleurs rappelé que des enquêtes montraient que les AFD étaient régulièrement utilisées par la police pour réprimer par des amendes des jeunes de quartiers populaires comme en Seine-Saint-Denis, avec un phénomène de surendettement qui commencent même à peser sur certaines familles.

Qui divise la gauche parlementaire

Au moment du vote final, la totalité des député·e·s de la majorité gouvernementale (Renaissance, Démocrates, Horizons), du Rassemblement National et des Républicains se sont prononcé·e·s en faveur de la loi. Les représentant·e·s de la NUPES se sont montré·e·s plus divisé·e·s. Si la totalité des élu·e·s de la France Insoumise, des écologistes et du Parti communiste ont refusé la loi au moment du vote à l’Assemble nationale, les socialistes se sont abstenu·e·s. Plus tôt dans les discussions, les socialistes avaient déjà rejeté la proposition de la France Insoumise de déposer une motion de rejet préalable contre le projet.

Les débats et désaccords au sein de la Nouvelle Union Populaire sur des sujets liés à la sécurité ne sont pas nouveau. Le PS a par exemple, contrairement à la France Insoumise, toujours refusé de qualifier les faits de violence policière comme tels. L’héritage politique du PS sur ces questions explique en partie ce positionnement. À titre d’exemple, c’est sous le quinquennat Hollande que les AFP ont été mises sur pied, il semble donc difficile aujourd’hui pour les député·e·s socialistes de les combattre en bloc. La gauche a tout de même réussi à faire front commun en proposant des amendements relatifs notamment à l’augmentation des moyens mis à disposition pour la formation à l’accueil des victimes de violences sexistes et sexuelles dans les commissariats. 

En amont des débats parlementaires, le NPA publiait par ailleurs, le 24 novembre, un communiqué de presse pour s’opposer au projet.

Et renforce l’arsenal sécuritaire 

L’éventail des mesures proposées dans cette nouvelle loi sécuritaire correspond au processus notamment détaillé par Paul Rocher dans son ouvrage de 2020 Gazer, mutiler, soumettre. Il y décrit la frénésie sécuritaire qui se développe en France depuis le début des années 2000 et qui entraine un renforcement des pouvoirs de la police ainsi qu’une criminalisation accrue du militantisme. L’élargissement des AFD à des délits comme l’entrave à la circulation routière – qui vise indirectement les militant·e·x·s des mouvements de défense du climat, qui se sont illustré·e·x·s ces derniers mois en bloquant des routes et sorties d’autoroutes, ou encore un mouvement comme celui des gilets jaunes – la réalisation de graffitis sur la voie publique ou encore la participation à un attroupement après sommation de se disperser, s’inscrit pleinement dans cette dynamique.

Plus encore, dans une période où la détérioration des conditions de travail dans des secteurs comme la santé ou l’éducation est pointée du doigts, l’adoption de cette loi démontre que le seul service public que la majorité gouvernementale veut bien sauver, et renforcer, c’est celui qui permet de défendre les intérêts et la propriété privée du 1 %, et de s’assurer que le 99 % restant se tienne sage. 

Noémie Rentsch