France

Assez. Place à la Relève féministe

L’expérience française nous rappelle, s’il le fallait, que les violences sexistes et sexuelles subsistent à l’intérieur des formations politiques de gauche. Il est temps d’en saisir les enjeux et d’opérer des changements internes dans une perspective féministe. 

Une manifestante porte une pancarte avec le nom de politiciens français accusés de violences sexistes
Cortège du collectif Relève Féministe à la Marche contre la vie chère et l’inaction climatique, Paris, 9 novembre 2022

En septembre dernier élcalte l’affaire Adrien Quatennens. Ce député était pressenti par beaucoup pour succéder à Jean-Luc Mélenchon au sein de la France Insoumise (FI). À la suite des accusations de son ex-conjointe, il avoue publiquement avoir eu des comportements violents à son encontre. Au travers d’un tweet, Mélenchon lui témoigne son soutien et souligne le « courage et la dignité » dont son protégé fait preuve en admettant ses torts et en se retirant momentanément des sphères publiques. Le post est viral et déclenche la colère des militant·e·x·s féministes de gauche. 

Les choses auraient pu s’arrêter là, mais cette première affaire agit en France comme un déclencheur. Elle fait tout d’abord resurgir le dossier Julien Bayou, co-président du groupe Europe Écologie–Les Verts à l’Assemblée nationale, également accusé de violences. Elle rappelle également les nombreuses dénonciations pour violences sexistes et sexuelles mettant en cause un militant issu des sphères de gauche : Eric Coquerel, Taha Bouhafs, Maxime Cochard, Samir Elyes, Benjamin Amar, pour ne citer qu’eux. Face à ces dénonciations, la tétanie et la solidarité masculine semblent régner au sein de la gauche française. 

Un manque de prise en charge 

Le malaise qui entoure l’affaire Quatennens au sein de la FI, illustré par sa conférence de presse de rentrée parlementaire quelques jours après la sortie publique de l’affaire, témoigne d’un cruel manque de prise en charge interne. Si, comme dans la plupart des partis et organisations de gauche, il existe un organe dont le mandat est de traiter des dysfonctionnements et des conflits internes, son importance est apparemment ignorée et sa capacité à gérer des cas de violences sexistes et sexuelles reste plus que limitée. 

En effet, malgré l’existence des instances judiciaires que les victimes de violences sont en droit de saisir, il est nécessaire de mettre en place des organes internes forts et en mesure d’endosser collectivement la responsabilité de ce type d’agissements. En d’autres termes, ces organes doivent pouvoir adresser une réponse collective du mouvement à ces agissements. En dénier l’importance, c’est refuser de garantir un climat de confiance et de considération dans les milieux militants, mais également de se donner les moyens de sortir du paradigme patriarcal contre lequel nous luttons. 

Un manque de formation 

Les violences sexistes et sexuelles ne sont pas plus présentes dans les partis de gauche que dans le camp de la droite, cependant nous sommes en droit d’attendre de ces premiers, qui portent des revendications féministes dans leurs programmes depuis de nombreuses années, de non seulement en comprendre la pertinence politique, mais également d’incarner ces revendications. 

Pourtant, lorsque les militant·e·x·s de la FI tentent de sortir un communiqué remettant en cause les propos tenus par Mélenchon dans son tweet, ce sont des murs qu’il faut déplacer. Ces difficultés dénotent le mépris des cadres du parti face aux questions féministes et ne peuvent que décevoir les bases militantes mobilisées sur ces questions. 

C’est pourquoi il est aujourd’hui urgent de mettre fin aux mécanismes de transmission genrée du savoir. Il nous faut mettre sur pied des formations sur les enjeux et les revendications féministes qui ne soient pas uniquement faites par et pour des militant·e·x·s féministes. Les cadres aussi ont un besoin continu de formation sur des questions dont les enjeux s’actualisent et les questionnements évoluent. Ces formations doivent nous nourrir théoriquement, mais également nous permettre de mettre en lumière, à l’interne de nos organisations, la répartition genrée du travail militant et les dynamiques genrées d’accès aux positions de pouvoir et d’influence et ainsi tenter d’y répondre dans une perspective anticapitaliste et féministe. 

La Relève Féministe

Face à l’inaction et la léthargie des cadres des partis de gauche, plusieurs militant·e·x·s décident de sortir de la sphère partisane interne où l’omerta règne. Ielles sont, pour la plupart, jeunes, féministes, engagé·e·x·s dans des partis, organisations ou gravitant dans les sphères de gauche et ielles se retrouvent sous une bannière commune, celle de la Relève Féministe.

Ce mouvement émerge, d’abord, sur Twitter à travers un hashtag avec lequel ielles dénoncent le silence, les comportements violents connus mais rarement sanctionnés, le manque d’espace dédié à ces questions, la solidarité masculine, les structures partisanes lacunaires en la matière et revendiquent la nécessité d’une relève féministe. Ce collectif informel né d’un ras-le-bol s’organise et rédige une tribune dans Libération intitulée «Violences sexistes et sexuelles : l’impunité est révolue, place à la relève féministe». Elle est signée par plus de 500 féministes qui se reconnaissent dans ce cri de colère et d’indignation. 

Le collectif passe une nouvelle étape d’importance lors de la manifestation du 16 octobre « contre la vie chère » organisée à Paris par la NUPES, il se matérialise et sort des sphères numériques. Des militant·e·x·s se retrouvent pour former un petit tronçon dit de la Relève féministe. Plus récemment encore, ielles organisent une action de collage sur les murs des locaux de la FI contre le retour de Quatennens à l’Assemblée. S’il est pour l’instant encore trop tôt pour conclure à la création d’un nouveau collectif qui, de surcroit, perdurera dans le temps, ces différentes actions témoignent de l’importance criante pour les partis de gauche de s’emparer de ces enjeux rapidement, sans quoi ils risquent de perdre en crédibilité – si ce n’est pas déjà trop tard – ainsi qu’en force militante humaine. 

Ces affaires l’ont montré, nos milieux ne sont pas imperméables aux violences sexistes et sexuelles et la séquence politique actuelle est une épreuve pour la gauche. Tirons-en les leçons nécessaires ! Il est grand temps de (se) saisir collectivement l’importance et la pertinence politique des revendications contre les violences sexistes et sexuelles, et de manière plus globale des revendications féministes, à travers des espaces de formation et de discussions qui concernent l’ensemble de l’organisation.

De plus, nous nous devons d’incarner dans nos pratiques quotidiennes militantes et personnelles une perspective féministe. Ces questions relèvent de notre responsabilité à tout·e·x·s, car la relève est féministe !

Effe Deux