Lutter contre les autoroutes et leur monde
La bataille contre l’A69 entre Toulouse et Castres a été au cœur de l’attention des luttes écologistes en France ces derniers mois. Cette autoroute de 53 km est l’un de ces grands projets inutiles qui aurait dû être abandonné depuis longtemps si la crise écologique était prise un minimum au sérieux. Derrière la question autoroutière se cache un enjeu écologique et social majeur.
Grève de la faim et de la soif, activistes suspendu·e·s aux arbres, lettre ouverte de près de 1600 scientifiques – dont plusieurs membres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) – demandant l’arrêt du projet, appel de 300 élu·e·s locaux·les, proposition alternative «Une autre voie», pétitions, grandes manifestations, sabotage d’une cimenterie, tentative de ZAD… La bataille contre l’A69 a été aussi âpre que diverse.
Une lutte emblématique
Mais malgré les avis défavorables rendus par l’Autorité environnementale, le Conseil national de la protection de la nature ou encore les enquêtes qui montrent l’opposition de population, rien ne semble pouvoir arrêter les promoteurs du projet, Carole Delga en tête, présidente «socialiste» de la région Occitanie, avec l’appui du gouvernement Macron.
Artificialisation de 366 hectares de terres agricoles et d’espaces naturels, abattage de centaines d’arbres centenaires, zones humides bitumées… Tout ça pour une autoroute qui deviendrait la plus chère de France et qui ne permettrait que de gagner 15 à 20 minutes sur un itinéraire pour lequel une route nationale existe déjà. À projet particulièrement absurde, lutte particulièrement emblématique.
La déroute des routes
On compte aujourd’hui 55 projets (auto)routiers contestés dans le pays. Réunis au sein de la coalition «La Déroute des Routes», des collectifs locaux se mobilisent pour enrayer la machine à asphalter les territoires, réclamant un moratoire sur tous les projets routiers destructeurs dont le contournement est de Rouen, la déviation de Saint-Péray (Ardèche), l’autoroute Thonon-Machilly (Haute-Savoie), etc.
C’est que le modèle autoroutier, avec son empreinte sur le territoire, l’artificialisation des sols qu’il entraîne, le développement verrouillé à la dépendance automobile qu’il impose, les espaces hostiles et les ruptures qu’il crée pour les humains et la faune concentre un nombre invraisemblable de nuisances écologiques… et sociales.
Des routes pour les riches
Lorsque l’organisation du territoire et des mobilités oblige à débourser plusieurs milliers d’euros par an pour posséder un véhicule et payer son carburant comme seul moyen pour accéder à l’emploi, aux services essentiels ou à des commerces, la dépendance automobile n’est, au final, rien d’autre qu’une taxe sur les plus pauvres.
Or, le transport est le lieu où l’utilisation de l’énergie est la plus socialement inégale. En France, plus on est riche, plus on est motorisé·e, plus on réalise une part importante de ses trajets en voiture et plus on parcourt de kilomètres. Et contrairement à une idée reçue très répandue, ce sont bien les ménages les plus aisés qui vivent le plus grand éloignement domicile-travail, pendulant souvent de leur maison en périphérie jusqu’en ville pour travailler. À l’inverse, les ménages les plus pauvres subissent de plein fouet les nuisances du trafic, les logements à proximité des grands axes routiers étant souvent les moins chers.
Les autoroutes comme infrastructures fossiles
Les expert·e·s sont unanimes: si l’on veut garder une chance de rester sous la barre des +1,5 °C de réchauffement, il faut stopper tout nouveau projet d’énergie fossile. Or, les véhicules sur les autoroutes sont encore à 97% propulsés au pétrole. Même en cas d’électrification massive du parc, le modèle qui consiste à mouvoir des engins d’1,5 tonne pour déplacer une seule personne est par essence incompatible avec la sobriété énergétique.
On doit donc considérer les autoroutes comme des infrastructures d’énergie fossile, au même titre que des usines électriques à gaz ou au charbon. Et les autoroutes verrouillent tout un développement spatial dépendant de l’automobile. Chaque voie supplémentaire, chaque nouvelle bretelle, chaque échangeur entraîne dans son sillage la construction de zones d’activités, de logements, de centres commerciaux et de loisirs uniquement accessibles en voiture.
Si l’on veut tirer pleinement les leçons de l’épisode des gilets jaunes, la mobilisation pour un arrêt complet de toute extension du réseau (auto)routier et pour un vrai tournant dans la politique de mobilité et d’aménagement devrait donc être mise au cœur des luttes écologiques et sociales.
Thibault Schneeberger