Projet radical sur lécole: formatage ultra-libéral
Projet radical sur lécole: formatage ultra-libéral
Le Parti radical a annoncé quil envisageait de lancer une initiative populaire fédérale pour une harmonisation du système scolaire à léchelle nationale. Il sagirait dunifier lâge dentrée à lécole pour favoriser la mobilité entre cantons. Mais aussi de prolonger la sainte-alliance de la droite helvétique et du populisme anti-pédagogique ambiant en inscrivant rien moins que le principe dune évaluation notée des élèves cette fameuse note chiffrée et cette moyenne dont les chercheurs signalent depuis longtemps les effets pernicieux et la dimension arbitraire dans la Constitution fédérale.
Comme souvent avec le débat sur lécole, on ne peut pas ne pas entrer en matière, dans un premier temps, sur cette idée dharmonisation, dans un pays où les disparités scolaires entre cantons prennent parfois des dimensions invraisemblables. Il convient pourtant de replacer ce projet dans son contexte et de bien examiner ce qui sy cache.
Quelle harmonisation nationale?
Voyons dabord le contexte historique: la Suisse moderne, née au XIXe siècle a fait délibérément le choix de ne pas centraliser son système de formation, à lexception de quelques domaines pointus dintérêt logistique ou militaire, confiés aux écoles polytechniques fédérales. Or, en plus dun siècle et demi, les finalités assignées à lécole publique se sont modifiées, alors même que des différences fondamentales sont apparues entre cantons. On peut penser à la laïcité, au statut de léventuel enseignement religieux, aux objectifs déclarés de ces écoles, mais aussi au taux daccès à la maturité, au moment dintroduction de filières séparant les «bons» et les «moins bons élèves», à limportance de la formation professionnelle précoce, etc.
Si les radicaux affirment vouloir sattaquer à cette question de lharmonisation du système scolaire suisse, cest aussi parce quelle est dans lair du temps. En effet, une consultation vient juste de se terminer à propos dune modification constitutionnelle allant dans ce sens. La question va être à lordre du jour. Il y aura vote populaire. Il est donc opportun de se demander non pas sil faut harmoniser, mais plutôt ce quil faut harmoniser, et selon quels critères. En termes doffre éducative et de sélection sociale, faut-il le faire en partant des situations cantonales les plus progressistes ou, par le bas, à partir des plus restrictives dentre elles?
Un formatage archi-libéral
Et là, un autre contexte doit être pris en compte, celui, tout-libéral, de la volonté de privatiser léducation et de transformer lécole en un vaste marché ouvert aux prédateurs du profit. Celui aussi de la soumission des systèmes scolaires à des indicateurs de lOCDE, en particulier la fameuse enquête PISA, qui font limpasse sur des biais culturels et prétendent mesurer lacte éducatif sur la base de critères qui ne sont jamais discutés et ne manquent pas de simplifier à lexcès les questions souvent légitimes qui sont posées au système scolaire.
Il faut savoir aussi que, pendant que les radicaux annoncent leur projet dinitiative, la Conférence des Présidents de lInstruction Publique, la CDIP, sans se référer aux parlements cantonaux, est déjà très active dans le domaine de lharmonisation scolaire.
En effet, «dans le cadre du projet HarmoS seront définis, dici 2007, des niveaux de compétences uniformes et mesurables (standards) qui devront être atteints sur lensemble du territoire suisse à la fin de la 2e, de la 6e et de la 9e année scolaire, et ce pour la langue première, les langues étrangères, les mathématiques et les sciences naturelles; ces standards auront un effet dharmonisation important sur le développement des moyens denseignement, la mise au point des examens, lévaluation des apprentissages, etc.» (déclaration de la CDIP du 29 octobre 2004, site www.edk.ch).
Indicateurs standards et pilotage managérial
Cette démarche sinscrit dans une tendance dominante inquiétante, au niveau international. En effet, nous apprend la CDIP, «de nombreux pays ont, depuis plusieurs années ou plus récemment, développé des instruments de pilotage du système éducatif national en termes de «standards» ou de «socles de compétences» venant compléter ou remplacer les traditionnels plans détudes». Pour la Suisse, les plans détudes seraient laissés aux régions linguistiques ou aux cantons. En revanche, ces «indications beaucoup plus précises quant aux résultats attendus» serviraient «à réguler la progression des élèves, à fournir une référence pour le diagnostic et lévaluation et à stimuler la différenciation positive auprès des élèves rencontrant les plus grandes difficultés» (HarmoS. Finalités et conception du projet, CDIP, juin 2004). Il nest en outre pas exclu que tout cela mène à lintroduction dun certificat de fin détudes obligatoires.
Sans compter que les références standards sont conçues à partir de concepts qui, loin dêtre neutres, mènent à privilégier une conception cumulative de lapprentissage. Ainsi, sil doit être mesurable dans les disciplines concernées, cet apprentissage a toutes les chances dêtre soumis à une pression normative, dêtre confiné à des pratiques pédagogiques traditionnelles, et simplificatrices, seules à même de correspondre aux fameux standards, mais peu efficaces quant à former le sens critique et la capacité de comprendre le monde dans sa complexité. Certes, il est souhaitable, par souci démocratique, que lécole publique rende des comptes sur son action et ses résultats. Mais si elle ne devait le faire quà travers des mesures standards, issues pour lessentiel dune idéologie managériale nayant rien à voir avec la culture éducative, cela serait très dommageable à la qualité de lenseignement.
Quelle initiative?
Quant à léventuelle initiative du parti radical, à lévidence, elle ne fera qualourdir cette tendance. Tout en exerçant une pression globale sur le système éducatif afin dy empêcher linnovation et, notamment, comme cela a été clairement explicité, dy généraliser à long terme le principe dune évaluation chiffrée.
En revanche, sil y avait aujourdhui, en matière scolaire, une initiative populaire à lancer au niveau fédéral, ce serait une initiative qui étende à tous les cantons les objectifs de larticle 4 de la loi genevoise sur linstruction publique, qui ont été repris pour lessentiel dans une récente déclaration des cantons romands, mais quil sagirait de faire prendre plus au sérieux. Construire une école de toutes et tous, qui agisse contre les inégalités sociales en matière de formation, une école qui sefforce aussi de former au sens critique, voilà ce qui devrait être affirmé dans la Constitution. Ce qui nest peut-être pas dans lair du temps. Mais ce qui est au cur même des exigences de la démocratie en matière de formation.
Charles HEIMBERG